La seconde journée de Rock en Seine était aussi, du côté de la Grande Scène, celle d’un duel entre des survivants de la vague rock du début des années 2000 (The Hives) et de nouvelles rockstars propulsées par l’Eurovision (Måneskin).
Vous êtes un groupe en activité discographique depuis plus d’un quart de siècle. Vous vous retrouvez à vous produire dans un festival juste avant le groupe pour lequel la majorité des festivaliers a pris son ticket. Sans vous être forcément hostile, le public ne vous est pas acquis d’avance. Eh bien sachez que Pelle Almqvist a quelque chose à vous apprendre. Evidemment que son humour était depuis bien longtemps présent dans la discographie et des prestations live de The Hives. Mais il s’est révélé hautement approprié aux circonstances de leur prestation à Rock en Seine. Les T Shirts très portés ce jeudi le criaient : beaucoup étaient là pour Måneskin, qui se produisait sur la Grande Scène juste après. Et entre le moment où le groupe suédois a demandé des clameurs pour lui-même et celui où il a demandé des clameurs pour les Italiens le niveau de décibels a tout de suite augmenté (ceci dit, le second The Hives, juste après la bande à Damiano David, a eu plus de décibels que le premier… mais ça restait en dessous des winners de l’Eurovision cuvée 2021).
Retour au début. The Hives arrive sur scène. Un des deux guitaristes plonge très tôt dans foule. Almqvist fait tourner son micro façon Roger Daltrey pendant qu’un musicien du groupe fait tourner sa guitare autour de son torse. Plus loin, c’est Almqvist qui plongera dans la foule. Mais il ne se contentera pas de la belle énergie déployée par son groupe du début à la fin. Dans la langue de Molière, Almqvist se muera en chauffeur de salle sarcastique. Il demande aux garçons de crier, aux filles de crier, et puis les deux en même temps. Il fait signe de lever les mains, ce truc qu’un fan du Boss fait spontanément à un concert de Bruce. Il incitera à applaudir. Il demandera de chanter la ligne de basse de Hate to Say I Told You So à un public… qui finira par le faire. Ceci dit, lorsque Almqvist a introduit le morceau comme un classique rock, ce n’était pas du sarcasme. Pas pour moi en tout cas.
Almqvist a aussi fait sourire en mentionnant les « multiples médailles » décrochées par le groupe aux Jeux Olympiques de Paris (en sport… et en Rock’n’roll). Dans de telles circonstances, le groupe ne pouvait se contenter de faire le job, même brillamment. Il fallait créer quelque chose avec le public. Le second degré est difficile à manier en concert et j’ai encore un souvenir douloureux de Mac DeMarco au Bataclan sur ce point. Mais ici le groupe a réussi à proposer l’alliage parfait de l’énergie d’Iggy Pop et de l’humour formidablement cynique de Jacques Dutronc. Nobody does it better, comme le dit le classique des chansons de génériques bondiens diffusé après que le groupe ait achevé sa prestation par son morceau phare Tick Tick Boom. Ceux et celles qui, contrairement à moi, les ont déjà vus en live en terrain conquis trouveront peut-être cette prestation trop bavarde. Pour moi le groupe a fait le nécessaire et je ne demande qu’à le revoir en compagnie de son public.
Mais, évidemment, le grand moment de la journée, c’est Måneskin ! Pour un concert annoncé comme le dernier de leur tournée. Sur la musique du groupe, qui aurait selon les médias français prouvé que « le Rock pouvait encore intérésser un jeune public », je suis globalement raccord de Mattias. Sur scène, c’est relativement mieux en revanche. Parce que Damiano David (ce soir en mode moustache) est une vraie star. Parce que la bassiste Victoria De Angelis est une autre attraction scénique du groupe. A l’inverse, le guitariste Thomas Raggi est dans des postures et ses solos la caricature du guitar hero seventies tel que moqué par les punks.
Le tube Zitti e buoni est accueilli par des applaudissements façon We Will Rock You. Sauf que parmi les morceaux du set il est un des rares dans la langue de Dante. Le reste est dans un anglais synchrone d’une volonté évidente d’expansion en Amérique. Non seulement on y perd le charme et la musicalité de la langue italienne, très différents de ceux de la langue anglaise. Mais on parle quand même d’un groupe qui avait réussi, sur YouTube, à faire chanter de jeunes fans asiatiques en italien. Surtout, le timbre vocal de Damiano David se marie moins bien à l’anglais. Du coup il n’est pas sûr, en dépit de cette potable prestation, que je fasse un tour à un concert du groupe lors d’un prochain festival.
Texte : Ordell Robbie
Photos : Robert Gil
NDLR : la publication de cet article a été retardée de 3 jours du fait de l’attente de la validation des photos prises par notre photographe accrédité par le management de Måneskin. Veuillez nous en excuser.