Après Eva en août et Venez voir , Jonás Trueba poursuit son exploration du couple avec acuité, tendresse et humour à travers l’histoire d’Ale et Alex qui, après 14 ans de vie commune, s’apprêtent à officialiser leur rupture par une grande fête.
Volveréis – « Vous reviendrez » – affirme le titre espagnol, de même que la partition pop du duo andalou Adios Amores que l’on entend en ouverture. Tout un programme pour ce que l’on pourrait appeler une comédie du désamour. Après Eva en août et Venez voir, Jonás Trueba continue à explorer le couple, mettant en scène dans ces trois films sa compagne, la flamboyante Itatso Arana, aux côtés de l’excellent Vito Sanz. Placé sous le signe de l’essai de Stanley Cavell Hollywood et la comédie du remariage, Septembre sans attendre est la chronique d’une rupture vécue dans une apparente légèreté qui semble tenir davantage du défi que de l’indifférence.
Ale (elle) et Alex (lui). Quatorze ans de vie commune et une proximité dans les prénoms comme un signe de quasi gémellité… »Vous êtes ensemble depuis toujours », se plaisent à leur dire leurs amis, incrédules à l’annonce de la séparation. Pourtant le constat des premières images est celui d’un amour à bout de souffle, empli de la gêne de devoir partager un même espace. L’utilisation que font Ale et Alex de leur appartement (un duplex !) est en ce sens éloquente, que vient renforcer le recours occasionnel au split screen. Peu importent les raisons pour lesquelles ils se séparent et d’ailleurs on ne les connaîtra pas, l’enjeu du film n’étant pas d’analyser le pourquoi d’une faillite intime mais de se concentrer sur les conséquences sociales et matérielles de la séparation et surtout de mettre en scène la manière d’en faire part, en même temps que d’annoncer la fête qui va l’officialiser. Oui, la fête, car d’emblée, le ton – celui de la comédie – est donné par cette idée cocasse, qui leur a été bien involontairement soufflée par le père d’Ale : « il importe de célébrer les séparations et non les unions ». Cette phrase, ils la répéteront à l’envi, comme un mantra, en partageant la nouvelle, de vive voix ou par téléphone, ensemble ou séparément, à leurs amis, leurs familles, leurs voisins, leurs collègues de travail. Nouvelle aussitôt assortie de la déclaration immuable » Nous allons bien ». Ils nous offrent ainsi le plaisir de voir leurs interlocuteurs réagir face à ce drame de la rupture qui prend immédiatement des allures de farce. Et plus tard celui de leur propre ébranlement en apprenant que le père d’Ale ne pensait pas vraiment ce qu’il avait dit. Mais la date du « mariage à l’envers » – le titre international du film est The Other Way around – a été fixée : ce sera le 22 septembre, le dernier jour de l’été. Pas question d’attendre.
SI Septembre sans attendre suscite le sourire et le rire, il est surtout profondément émouvant, dévoilant la fragilité de l’être humain qui, en plein doute, en plein chagrin, tente de se mentir à lui-même et, par orgueil, de faire bonne figure aux yeux des autres. Et si la vulnérabilité d’Alex est plus patente que celle d’Ale, à les entendre tous deux répéter machinalement la formule magique « Il importe de célébrer les séparations et non les unions », on n’a guère de doute sur sa fonction : mettre court aux réactions embarrassées, aux interrogations apitoyées, en même temps que se convaincre soi-même que la rupture n’est pas un drame mais une ouverture sur l’avenir, sur une relation revigorée. Avec, en miroir, la réaction effarée des couples amis qui se trouvent renvoyés à l’évidence, brutalement révélée, de leur propre vulnérabilité. Comme toujours chez Trueba, la réflexion des personnages s’appuie sur des lectures, celles en particulier suscitées par le père d’Ale – joué par le réalisateur Fernando Trueba, le père de Jonas et une figure majeure du cinéma espagnol . En dehors de Cavell, déjà cité, et présent par ailleurs par de nombreux clins d’œil au cinéma hollywoodien, Kierkegaard est là lui aussi, à travers son essai intitulé La reprise – reprise d’une relation et reprise d’un rôle. Références sans pesanteur, pourtant, par la distance amusée qu’introduit vis à vis de ces penseurs un Trueba conscient de l’impuissance de la théorie face au vécu. Que peuvent en effet la littérature, la philosophie face au malheur ? Et que peut le cinéma? En faisant d’Ale la réalisatrice du film dont Alex est l’acteur principal, en introduisant sous la forme d’une mise en abyme des scènes où Alex acteur se retrouve dans la situation d’Alex personnage, Trueba brouille malicieusement les frontières entre la vie et l’art, laissant entendre que le cinéma pourrait réparer ce que la vie a défait.
Film empli de musique, joyeux en même temps que sensible et profondément humain, Septembre sans attendre porte un regard amusé et complice sur les (ex) amoureux que sont Ale et Alex et que nous sommes tous. D’une idée de départ séduisante mais qui paraissait difficile à tenir sur la longueur, Jonás Trueba a su tirer toute une gamme de variations à la fois drôles et émouvantes. Même si la fin m’a semblé un peu trop longtemps différée, Septembre sans attendre, servi par ces deux acteurs magnifiquement bien accordés que sont Itsaso Arana et Vito Sanz, est le plus accompli des films de Trueba, montrant avec une tendresse sans amertume la beauté du crépuscule de l’amour.
Anne Randon