Des romans qui ont pour toile de fond les fondements des Etats-Unis au XIXème – ruée vers l’or, conquête de l’Ouest, guerre contre les Amérindiens – il y a en pléthore, ce qui fait craindre redondances ou ennui poli, au mieux divertissement. C’est donc une magnifique surprise que ce Terres promises renouvelant totalement les tropes du western en lui insufflant un souffle et une puissance qui touche au sublime.
Des romans qui ont pour toile de fond les fondements des Etats-Unis au XIXème – ruée vers l’or, conquête de l’Ouest, guerre contre les Amérindiens – il y a en pléthore, ce qui fait craindre redondances ou ennui poli, au mieux divertissement. C’est donc une magnifique surprise que ce Terres promises renouvelant totalement les tropes du western en lui insufflant un souffle et une puissance qui touche au sublime.
Le pluriel du titre, alors que l’unité de lieu est respectée, n’est pas gadget. Bénédicte Dupré La Tour opte pour la choralité en donnant la parole à des voix oubliées du Far West. Chaque personnage a son chapitre : des femmes ( prostituée, indienne, fermières épouses de colons ), des hommes ( orpailleur, indiens, révérend ).
Chaque chapitre est une histoire à part entière, tellement bien construite, avec une tension qui monte crescendo, des enjeux qui se précisent, et un dénouement toujours inattendu, souvent cruel, incontestablement saisissant. Il pourrait constituer une nouvelle à part entière, mais l’autrice tisse un réseau de correspondances, d’abord souterrain puis qui éblouit lorsqu’ils apparaissent au grand jour. On se rend compte que chaque histoire intime emmène le lecteur vers une strate plus profonde, plus complexe de ce récit spiralaire dont on comprend toute la puissance au final.
Les personnages se croisent, ou pas, mais leurs histoires se répondent et composent une épopée-fresque mosaïque qui impressionne par l’éventail d’émotions fortes qu’elle déploie entre tragédies grecque, biblique, shakespearienne, guidée par un arc narratif épistolaire qui unit le tout.
Aucune histoire n’est faible, ou en-dessous des autres, c’est dire la maîtrise narrative de Bénédicte Du Pré La Tour. Disons que mes préférences vont aux histoires de Mary, la fermière, qui part jeune fille sur les routes trouver un mari et une terre, puis devient mère jusqu’à la folie ; et celle de Bloody Horse, l’Indien plein de colère et de rancœur, qui se met au service des Blancs comme éclaireur.
Au-delà du cadre spatio-temporel, le fil conducteur qui unit tous les personnages est leur quête existentialiste. Il n’est question que des choix que l’on fait, souvent dans une grande solitude avec soi-même, pour devenir ce que l’on veut être, sans forcément de certitudes, mais au moins en sachant ce qu’on ne veut pas ou plus, quitte à se retrouver en marge de sa communauté voire en rupture totale. L’écriture précise et sensorielle dit tout de leurs tourments et de leurs espoirs, au plus près des corps qui subissent ; elle terrasse souvent par la brutalité des destins entrevus.
Et c’est là que Bénédicte Dupré La Tour frappe très fort. Souvent lorsqu’un roman se passe dans un passé lointain, les auteurs veulent parler de notre monde actuel et plaque au forceps des messages progressistes qui ne sont pas pertinents chronologiquement parlant. Mais là, tout résonne de façon moderne sans aucun anachronisme pour évoquer des thématiques aussi passionnantes que contemporaines ( maternité, exil, immigration, identité, droit à la différence, colonialisme, racisme, féminisme ) en les faisant résonner d’une intensité flamboyante, souvent brutale.
Un coup de cœur qui s’est imposé avec évidence tant il m’a fait vibrer, respirer, trembler, saigner à l’unisson de personnages inoubliables. Un premier roman qui emporte par l’incandescence des images qu’il imprègne dans les rétines, ainsi que de son éblouissante maîtrise formelle.
Marie-Laure Kirzy
Un article qui donne envie de se ruer sur ce bouquin !