Pour son deuxième roman, Abigail Assor évoque les souvenirs d’enfance de jumeaux et leur séparation tragique une nuit de leur 10 ans. Une écriture douce-amère jalonnée de tensions permanentes pour narrer l’amour filial, la culpabilité et ce que la mémoire garde des traumatismes de l’enfance.
Olive et David s’aiment, complices et indispensables l’un à l’autre. Normal, ce sont des jumeaux, autour d’une mère possessive et d’un père plutôt absent. Seulement, David est un enfant à problèmes, probablement atteint de troubles du comportement qui le font devenir très rapidement incontrôlable ou violent, asocial ou dysfonctionnel, avec des réactions contraires aux codes sociaux. Olive le sait, mais son amour pour son frère prend toujours le dessus. A la différence de leur maman, inquiète permanente, qui n’arrive pas à gérer les comportements de son fils tout en le surprotégeant. Et tout le monde sent qu’Olive passe pour celle qu’on préfère, parfaite et aimante.
Ces relations familiales assez compliquées sont uniquement remémorées par Olive, la voix du roman. C’est elle qui, des années plus tard, retranscrit ses souvenirs d’enfance dans ce roman. Tout est donc évoqué mais surtout retracé avec ce qui l’a marquée, ce dont elle se souvient… et la force d’écriture d’Abigail Assor réside dans ce sentiment diffus et doux-amer d’anecdotes plus ou moins précises, de moments qui resurgissent de sa mémoire pour évoquer son enfance passée aux côtés de son David qui n’est plus… on saura à la toute fin ce qui s’est passé durant cette nuit… un événement qui surgit dès le début du livre, pivot narratif intrigant autour duquel la narratrice tourne longtemps à coups de moments de vie, et qui permet de lentement instiller une tension grandissante. Que s’est-il passé pour qu’Olive soit séparée de David ? Qu’il ne fasse plus partie de sa vie ?
Il fallait pas mal d’originalité pour parler des dysfonctionnements des enfants pré-adolescents et la manière dont la famille vit (ou survit) à leurs côtés : et l’auteur a choisi la belle idée de ne les décrire qu’à travers sa sœur et ses souvenirs. La vision d’Olive qui adore son frère jumeau plus que tout, en sachant pertinemment que « quelque chose ne va pas », mais qui adore plonger dans les délires de son frère qui rêve de devenir un train et de partir, qui crée pour eux deux un langage propre qu’eux seuls comprennent, qui rend leur mère folle et paranoïaque dans ses actes interdits ou dangereux… elle accepte, elle s’en amuse ou elle se résigne. C’est David, son frère, sa moitié, sa raison de vivre.
On nage donc, sur la totalité du livre, dans une ambiance de scènes familiales que tout le monde aura déjà connues – des fêtes, des soirs de sortie d’écoles, des vacances avec de lointains cousins…- mais avec toujours ces trouées un peu malsaines où la normalité se brise, narrées pourtant comme une évidence qui faisait partie du quotidien. Et en contrepoint, dans les dernières pages, Olive devenue adulte affiche le constat de ces souvenirs, de ce que l’on garde d’une enfance douce mais aussi probablement compliquée, et des corollaires qui surgissent des années après : culpabilité, regret ? Peut-on trop aimer et regretter de ne pas avoir pris davantage de recul ? Les souvenirs d’enfance peuvent-ils masquer longtemps les réels traumatismes qui ont suivi une fois adulte ?
Ces dernières pages deviennent alors vraiment bouleversantes, après toutes ces évocations douces-amères de moments rappelés. Et La nuit de David finit de nous cueillir dans sa beauté simple de comprendre notre capacité à réinventer son passé, le maquiller ou en garder une trace très personnelle.
Jean-François Lahorgue