Rétrospective des années 60 vues par le petit bout de la lorgnette, c’est-à-dire nos goûts personnels plutôt que les impositions de « l’Histoire ». Aujourd’hui, Surrealistic Pillow, un album historique, le son psychédélique d’une révolution pacifique et pacifiste, utopique, un mix d’influences, de poésie onirique. Vive l’Amour !
1967. L’une de ces années horribles d’une décennie horrible dans un siècle lui-même pas de tout repos, dans le monde (car 1967, c’est toujours le Vietnam, mais c’est aussi l’année de la guerre des 6 jours) et aux USA. Même si les tensions que nous vivons en ce moment se rapprochent de celles de l’époque, l’ampleur de ce qui se passe aux USA en 1967 est assez unique. Il y a la guerre du Vietnam, et ses milliers de morts, déjà. Et il y a aussi des tensions raciales qui se font encore plus vives. L’été est émaillé de dizaines d’émeutes : oui, cet été 1967, ce fameux summer of love, dont on se souvient surtout comme un sommet de contre-culture et d’utopie pacifiste. Parce que pendant qu’on se révolte à Detroit, Milwaukee, Rochester, Newark et Plainfield, Buffalo, ou encore Tampa Bay… entre autres, une (autre) partie de la jeunesse américaine se rassemble à San Francisco, dans le Golden Gate Park, et à Haight-Ashbury (un quartier qui jouxte le parc), pour dire son envie de paix, d’égalité, de liberté. Contre l’ordre établi, aussi, mais différemment, et en musique, évidemment. Évidemment, parce que comment promouvoir une autre culture sans promouvoir une autre musique ? Et tout en haut de la bande son du summer of love se trouve l’irrésistible Surrealistic Pillow de Jefferson Airplane. C’est L’ALBUM de l’été, mais aussi l’un des albums réellement historiques des sixties.
Surrealistic Pillow est le second album du Jefferson Airplaine. Il est sorti en février, mais a été enregistré à la fin de l’année précédente ; entre fin octobre et mi-novembre, en quelques semaines à peine, en quelques prises pour la plupart des chansons. Le succès commercial est incroyable ; dans une année marquée par la sortie d’autres monuments de la décennie comme le premier album des Doors, The Doors, mais aussi Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des… Beatles, ou The Piper at the Gates of Dawn de Pink Floyd. Un album sur lequel figurent deux morceaux phares, parmi les plus connus de l’Airplane. Somebody to Love, un morceau qui fusionne rock et psychédélisme, rugueux, plein d’une rage et d’une énergie sombre – « Don’t you want somebody to love / Don’t you need somebody » to love demande Grace Slick comme si c’était une quête impossible. White Rabbit, dand le même genre rock-psychédélique, est une descente dans un terrier de lapin (à la suite d’Alice au Pays des Merveilles) mais une montée musicale, un crescendo que portent la basse, la batterie et la voix puissante de, encore, Grace Slick.
Slick vient d’arriver dans le groupe en remplacement de Signe Anderson (avec Stephen Dryden, le batteur, qui n’était pas non plus du premier album). Pourtant, ce n’est pas elle qui chante sur la plupart des morceaux. Marty Balin, Paul Kantner et Jorma Kaukonen se partagent aussi souvent le micro. Grace Slick, elle, se trouve à répondre à Marty Balin sur She has funny cars, le premier morceau de l’album ; un duo superbe qui fonctionne admirablement pour porter avec la guitare rythmique de Paul Kantner une chanson pleine d’une énergie live (et encore de cette énergie sombre qui caractérise l’album). Pas si étonnant que ce morceau sonne de cette façon, le groupe le jouait déjà sur scène, comme 3/5 Of A Mile In 10 Seconds, un morceau très électrique sur lequel Slick fait encore des merveilles. Un titre qui sonne comme un blues psychédélique (c’est ici la guitare de Jorma Kaukonen qui est à l’œuvre). Plastic Fantastic Lover a aussi ce côté blues et électrique, la guitare déchire le morceau du début à la fin, sur des paroles complètement déjantées (dues à Marty Balin, et qui sont une critique de la société de consommation).
Sur cette chanson, on trouve aussi à la guitare rythmique… Jerry Garcia en personne, le guitariste du Grateful Dead, crédité comme « inspirateur spirituel » sur la pochette de l’album (on n’ose imaginer ce que ça veut dire, mais le résultat est à la hauteur). Garcia intervient aussi, en particulier, sur le superbe Today, l’une des nombreuses ballades de l’album, une superbe chanson d’amour, un des rares morceaux dépouillés, sobres, et encore assez mélancolique (la voix pleine de larmes de Marty Balin contribue grandement à cet effet, « please, please listen to me »…). Autre ballade, Come back to me, délicate complainte d’amour, avec flûte et guitare acoustique et encore ce chant qui demande, demande, demande, ‘come back to me’… Et puis il y a des morceaux encore plus légers, avec de belles harmonies, de superbes vocalises (Grace Slick, encore, sur My Best Friend ou D.C.B.A.-25), de la guitare acoustique folk (sur How Do you Feel), et même un côté upbeat, ensoleillé (My Best Friend). My Best Friend est un peu à part dans l’album, avec Embryonic Journey, court instrumental, 2 minutes qui n’ont rien ou presque à voir avec le reste. Jorma Kaukonen se fait plaisir, et nous fait plaisir…
Il y a des étés dont on se souvient parce qu’on a crié pour encourager (ou huer) des gens en shorts qui essayent de mettre une balle dans un filet. Il y en a d’autres dont on se souvient parce qu’ils ont porté des espoirs de changements sociétaux et culturels… On fait ce qu’on peut. Alors autant écouter ce qui reste, pour toujours, de ces étés-là : l’Airplane par exemple.
Alain Marciano
Choix stupide
Chacun ses goûts, non ?