Après toi les ténèbres de Gus Moreno est un livre sur la mort, sur un impossible deuil mais c’est aussi un récit fantastique effrayant. Un premier roman fascinant qui brouille la frontière entre la réalité et la folie.
« Tes parents ne m’ont pas laissé t’enterrer dans une capsule funéraire. Surtout ta mère. » Ainsi commence Après toi les ténèbres, le premier roman de Gus Moreno. D’emblée, Thiago, le narrateur du livre, dialogue avec Vera, sa femme qui vient de mourir brutalement. Parce qu’il ne peut supporter la violence du choc, l’intolérable douleur, Thiago continue de s’adresser à elle. Les premières pages du roman sont bouleversantes : Moreno, avec pudeur et simplicité, décrit le deuil, le manque, l’absence, l’isolement de son personnage. Sans doute tout le roman aurait-il pu se poursuivre dans ce registre et s’apparenter à l’un de ces romans de l’intime, qui privilégie l’analyse psychologique aux ressorts romanesques d’un roman de genre. Mais Gus Moreno a décidé de faire les deux : un roman sur la souffrance face à la mort de l’être aimé et un récit fantastique de plus en plus effrayant.
En effet, dès la première partie du livre, on voit s’immiscer dans le récit une succession de petits événements étranges, inexplicables. Ainsi, alors que Thiago raconte à sa femme son enterrement, sa vie maintenant qu’il est seul, il revient aussi sur les jours passés ensemble, évoque son somnambulisme, et les bruits étranges entendus dans l’appartement. Il raconte surtout les dysfonctionnements répétés de leur Itza, une enceinte connectée qui ne cesse de perturber le sommeil de Thiago. L’appareil se met subitement en marche, en pleine nuit, transmet des messages abscons et inquiétants, et diffuse une étrange lumière quasi surnaturelle. Le doute s’installe rapidement. S’agit-il de bugs technologiques ? Ces bugs sont-ils imaginés/inventés par l’esprit perturbé de Thiago ? Son appartement est-il hanté par une force maléfique ?
Lorsqu’il décide de quitter Chicago pour s’installer dans une cabane perdue au fin fond du Colorado, Thiago pense qu’il va tout laisser derrière lui : sa souffrance mais aussi sa peur face aux événements de plus en plus mystérieux et perturbants qui se sont produits dans son appartement. Bien évidemment, il n’en sera rien. Au contraire, loin de chez lui, l’horreur ne va cesser de croître. Le roman prend alors une nouvelle tournure, sans pour autant abandonner les thèmes développés depuis le début. Moreno utilise de nombreux codes du récit horrifique (la maison isolée, des visions terrifiantes, un adorable Saint-Bernard qui pourrait bien se transformer en monstre…), mais sans pour autant renoncer à parler du deuil de Thiago.
Le roman de Gus Moreno, comme le suggère si bien son titre, s’apparente à une plongée effrayante dans les ténèbres. Après la mort de Vera, la vie de Thiago s’effondre et sa psyché elle-même se fissure. Et Moreno parvient assez bien à maintenir ce doute propre au récit fantastique : les événements qui nous sont racontés par Thiago sont-ils réels, ou bien sont-ils le fruit de sa folie ? La raison du personnage n’est-elle pas totalement déréglée par sa douleur et par sa personnalité même ? Au fur et à mesure du récit, Moreno lève en effet le voile sur l’histoire familiale de son personnage, peut-être à l’origine de tout ce qui lui arrive…
Après toi les ténèbres séduit par sa capacité à fusionner plusieurs registres. Roman d’amour poignant et douloureux, Après toi les ténèbres est aussi un livre d’horreur quasi lovecraftien, et le portrait d’un jeune homme attachant qui voit sa vie bouleversée par la mort. L’Atalante nous permet donc de découvrir un auteur très prometteur, et que l’on va désormais suivre avec attention.
Grégory Seyer