Le dernier projet – audacieux mais coloré par l’habituel sens de la dérision de son auteur – de KIM risque de mettre la Grössë Ämbïäncë dans votre cuisine quand vous vous levez le matin. On vous recommande d’avoir du café sous la main, mais de ne pas trop en abuser pour éviter des réactions nerveuses exagérées.
On a l’habitude ici de suivre KIM (ou Kim Giani) dans une partie de ses braves aventures musicales, certaines (presque totalement) sérieuses – les disques qu’il réalise sous nom -, d’autres pas vraiment farfelues – son travail sous des pseudonymes ou dabs d’autres formats, comme par exemple la réussite « populaire » qu’a été le projet Les clopes. On a un peu hésité avant de vous parler ici de Grösse Ämbïäncë, son nouveau projet « high concept », en se disant qu’on s’adresserait uniquement à des « happy fews ». Ou à une poignée de malades capables de s’ingurgiter 54 minutes de drone music extrême sans même avoir eu le temps de prendre un café. Mais en fait, on s’est tout de suite dit que l’audace de la démarche, et la radicalité du résultat méritaient de ne pas passer inaperçues.
L’origine de cette musique est une improvisation réalisée par KIM en live stream, pour son « Super Pizza Club » (si vous ne connaissez pas, on vous conseille d’aller découvrir cette initiative singulière et stimulante), qui est ensuite sortie en single sous le nom entier de Kim Giani. Séduit par ce qu’ils ont entendu, les gens du label nantais Super Apes ont alors demandé à KIM s’il avait envie de réaliser un album entier dans cette veine, un mélange de black metal et de drone : un défi qu’il a relevé haut la main, en n’utilisant aucune électronique, mais seulement une basse, une batterie et sa voix. Une fois l’enregistrement terminé, il lui a semblé normal – et pourquoi pas, en effet ? – de se déguiser en cadavre encapuchonné : on peut penser aux tenues de moines des seigneurs du drone metal, Sun O)))… Et, en suivant la formidable logique, très particulière qui est celle de KIM, de choisir le titre de Grösse Ämbïäncë pour représenter l’album. Et, ensuite, de fixer des titres « idiots » par dessus, car, pour KIM, plus la musique qu’il crée s’apparente à un genre rigide, plus la tentation est grande de créer des effets de dérapages, qui brouillent la perception qu’on a de son travail.
On se retrouve au final avec un long morceau bruitiste (black metal / doom / drone) de près d’une heure, arbitrairement saucissonné en tranches de durée variable pour sa diffusion en streaming, assorti d’un titre risible sur le problème grave de ne pas pouvoir se préparer un café au lever, le matin. On peut évidemment traiter le projet comme une autre de ces plaisanteries dont KIM raffole, mais une écoute attentive (oui c’est possible) montre qu’on a affaire ici à quelque chose de très sérieux, dans son radicalisme ultime comme dans la démarche intellectuelle et musicale qui le sous-tend.
D’ailleurs, la première chose similaire qui nous est venue à l’esprit est le Metal Machine Music de Lou Reed (que KIM avoue a posteriori adorer), un album littéralement terrible que certains – dont nous sommes – ont vénéré alors que la plupart l’ont vu comme une farce jouée par Lou Reed à sa maison de disques et à son public populaire. Comme pour le grandiose MMM, on est prêt à parier qu’il y aura des moments où s’immerger totalement dans cette vague de sons semblant a priori inhospitaliers se révélera un délice, et d’autres où cette Grösse Ämbïäncë sera tout bonnement insupportable.
Et c’est bien comme ça que ça doit être…
ou ?
Eric Debarnot
Kïm – Grössë Ämbïäncë
Label : Super Apes
Date de sortie : 30 août 2024
wʌt ðə ˈfʌk !