Si ce témoignage saisissant n’explique pas le cynisme sans bornes des fanatiques « religieux » de Daech, il permet au moins de connaître leurs méthodes abjectes de recrutement et d’endoctrinement de leurs enfants soldats.
En 2014, après plusieurs mois de conquête d’une partie de la Syrie et d’Irak, L’État islamique déclare la restauration du califat, provoquant la sidération mondiale. Lorsque ses combattants envahissent et détruisent le village de Kocho, situé dans la région du Sinjar en Irak du nord, Mahar n’a que dix ans. Le jeune garçon va être enrôlé et converti de force par Daech. Six ans plus tard, alors que l’État islamique est vaincu, Mahar est rapatrié chez lui dans un centre d’accueil, tout en étant surveillé par l’armée. C’est son histoire effrayante et tragique qui nous est racontée dans Mahar le lionceau, ou l’enfance perdue des jeunes soldats de Daech.
Spécialiste des questions de l’après-guerre au Moyen-Orient et lauréate du prix Albert-Londres en 2007, Anne Poiret s’est rendue dans le Sinjar, au nord de l’Irak, pour se pencher sur la question des enfants soldats de Daech. Pour ce faire, elle a pu pénétrer dans un centre d’accueil où sont hébergés 128 enfants yézidis, dont plus d’une vingtaine d’enfants soldats. Elle a pu convaincre un jeune garçon âge de 16 ans de raconter son histoire, et celle-ci glace le sang.
Issu de la communauté yézidi, une minorité confessionnelle pratiquant une religion proche du zoroastrisme, Mahar — il s’agit évidemment d’un faux prénom — a été kidnappé par les troupes de Daech en 2014. Le livre va nous faire vivre sa terrible expérience, celle d’un être arraché brutalement à l’enfance pour être mis au service d’individus sanguinaires, prêts à tout pour imposer la charia dans tous les territoires conquis. D’abord converti à une religion qui lui était étrangère, Mahar va ensuite apprendre à combattre l’ennemi « mécréant » et assassiner sans états d’âme les « kouffars », pendant une période de six ans. La guerre terminée et Daech vaincu, comment le jeune « lionceau du califat », à la fois bourreau et victime, ressortira-t-il d’un point de vue psychique, sachant que des membres de sa famille ont péri ou disparu pendant le conflit ? Réalisera-t-il l’ampleur de la manipulation dont il a été l’objet ?
En retranscrivant les propos de Mahar, Anne Poiret nous offre un documentaire à la fois passionnant et glaçant, qui nous permet de comprendre les méthodes impitoyables de l’État islamique pour recruter ces mômes qui ont encore du lait dans le nez et les transformer en redoutables guerriers, pour qui le statut de martyr est devenu la plus haute aspiration…
Le dessin réaliste de l’auteur danois Lars Horneman se plie impeccablement aux codes de la BD documentaire, avec un sens du cadrage maîtrisé pour faire ressortir la tension ou l’émotion propres à certaines scènes.
Si aujourd’hui Daech a été mis en pièce par les forces de la coalition internationale, les Islamistes radicaux n’ont pas pour autant dit leur dernier mot, et comme on le sait, restent plus que jamais une menace tangible pour l’ensemble du monde. A ce titre, Mahar le lionceau constitue un témoignage précieux qui pourrait contribuer à mieux lutter contre leurs odieuses techniques de lavage de cerveau, dont on sait qu’elles se propagent aussi via les réseaux sociaux. En ces temps troublés où l’obscurantisme sort ses tentacules de tous les côtés, cet ouvrage, tout en nous faisant prendre conscience que les démocraties restent fragiles, s’avère un indispensable outil de résistance et de défense de la liberté.
Laurent Proudhon