« Le Syndrome de l’Orangerie » : Grégoire Bouillier face aux Nymphéas

Pourquoi ressentir une telle angoisse en découvrant Les Nymphéas ? Quels secrets Monet a-t-il bien pu, consciemment on non, dissimuler dans ces grands panneaux ? Grégoire Bouillier, alias le détective Bmore, mène l’enquête avec érudition, humour et brio.

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Pascal Ito © Flammarion05

J’ai découvert Grégoire Bouillier tardivement, en 2020, avec Le Dossier M cette somme luxuriante de deux fois 1000 pages (désormais huit volumes en poche) où l’auteur nous entraîne avec intelligence et humour dans un voyage à l’intérieur de lui-même, un livre qui m’a littéralement transportée par sa richesse et son originalité. Quatre ans plus tard, ce fut Le Coeur ne cède pas où la quête d’une vérité sans cesse dérobée, mettant en jeu tant la vie de la mannequin Marcelle Pichon que celle du narrateur, me procurait à nouveau des moments de lecture inoubliables. Il en fut de même avec la découverte de deux de ses oeuvres antérieures mais de dimensions bien plus modestes : Rapport sur moi (2002) et L’Invité surprise (2004). J’attendais donc avec une impatience non dissimulée la sortie du Syndrome de l’Orangerie d’autant plus que le roman associe, on l’aura compris, la littérature et l’art, mes deux amours.

Le Syndrome de lOrangerieOn pense évidemment en découvrant le titre au célèbre syndrome qui frappa Stendhal dans la basilique Santa Croce de Florence. Et on n’a pas tort. Le narrateur raconte comment, visitant le musée de l’Orangerie, il a ressenti non pas la « paix intérieure » que chacun, dit-il, éprouve devant  Les Nymphéas de Monet, mais une violente crise d’angoisse. Ce malaise sera pour lui le début d’une folle enquête, à la recherche du sombre secret que pourraient bien dissimuler ces grands panneaux…Redevenu pour l’occasion le détective Bmore du Rapport sur moi, Grégoire Bouillier, de l’Orangerie à Giverny en passant par Auschwitz, Boston et le Japon, s’attache sur 448 pages à élucider son « syndrome de l’Orangerie », et ce en mêlant dans ses investigations la botanique, l’histoire, la vie de Monet et l’inconscient dont sont chargés Les Nymphéas. Une enquête, certes, mais surtout un prétexte à réfléchir à notre rapport à l’art, à la relation mystérieuse qui s’établit entre l’oeil qui voit et la chose vue.

Le livre nous apprend beaucoup, donc, et dans bien des domaines, nous éclairant en particulier sur le rôle de génial précurseur qui fut celui de Monet. Et ce, de la plus agréable des façons : Bouillier, en effet, nous associe au tourbillon d’une pensée toujours en mouvement, où se succèdent hypothèses, doutes et enthousiasmes, une réflexion qui joue la carte de la spontanéité, érudite mais jamais pédante et éloignée de toute bien-pensance. Sans jamais perdre de vue son fil conducteur, il procède « à sauts et à gambades », nous entraînant dans des digressions plus qu’assumées, exhibées, qui le ramènent non sans auto-dérision à sa propre expérience, et nous mettent face à nos multiples ignorances, nos nombreuses contradictions, nos petites faiblesses, notre part d’inavouable. D’un univers hanté par la mort, Grégoire Bouillier fait une matière qui déborde de son appétit de savoir et de comprendre, le terrain d’une formidable réflexion sur les relations complexes entre l’art et la vie, propre à susciter, nourrir et accompagner la nôtre.

Anne Randon

Le Syndrome de l’Orangerie
Roman de Grégoire Bouillier
Éditeur : Flammarion
448 pages – 22 €
Date de parution : le 21 août 2024

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