Enfin un nouvel album d’Emily Loizeau, (toujours enregistré avec John Parish). Des bijoux de pop poétique et engagée, des mélodies incroyables, des arrangements intelligents et raffinés ; une voix remarquable… Probablement l’un de ses meilleurs, si ce n’est le meilleur.
Emily Loizeau a toujours reçu des commentaires élogieux sur Benzine, que ce soit sur album (pour Icare, par exemple ou pour le plus ancien Mothers and Tygers) ou en concert. Et ce n’est pas maintenant que cela va changer, La Souterraine est un album splendide, puissant et profond, intelligent et émouvant, et engagé, aussi. En fait, l’album n’a pas besoin de superlatifs, de commentaires ; il se présente assez bien tout seul ; il s’écoute, se réécoute, s’apprécie, mais vraiment beaucoup, pénètre petit à petit entre vos oreilles… Il faut dire que tout dans ce disque, tout dans ce qu’Emily Loizeau fait est parfaitement réussi. Emily Loizeau fait partie des plus grandes, on le savait déjà, on n’avait pas besoin d’une confirmation, mais on est quand même content de l’avoir. Surtout, il y a quelque chose qui change avec cet album, quelque chose en plus et en moins ; le côté chanson française, les accents à la Barbara, ont disparu, les morceaux sont plus profonds, plus intenses, plus sombres…
On trouve sur cet album des chansons d’amour assez intimistes (et très intenses – l’amour n’est-il pas plus beau quand il est intense ?), comme Éclaire-moi, le morceau inaugural, un morceau un peu indolent d’abandon quasi-total (« arrache-moi le cœur déleste-moi/détourne les malheurs tu sais faire ça » ou « écorche-moi le corps, je n’ai pas peur »). La musique est lente, mais puissante, hypnotique, électrique. On retrouve aussi cette même indolence sur le second morceau de l’album, Je vois dans tes yeux, aux arrangements plus électro, plus souples que sur le morceau précédent, pour une même émotion poétique. Autre morceau plein d’une lumière noire et intense, autre chanson d’amour, The Rainbow in Your Heart (« I am not just another girl/I can be the rainbow of your heart »). Peut-être moins original, mais toujours très beau.
Et puis il y a les bijoux… qui sont des odes, d’amour à la vie, à la planète, à l’humanité. La route de Vénus. Un des sommets de l’album. Même après l’avoir écouté, écouté, écouté, on ne pourra pas s’en lasser. Un morceau de paix et d’espoir – « adieu les bagnards, adieu les geôliers/nous ouvrons la cage à nos âmes éclairées » – porté par une mélodie absolument fantastique, lumineuse, aérienne. Parfait. Un moment de grâce, qui a déjà été repéré (à juste titre) par les radios. Mais il ne faudrait pas que cela occulte les autres superbes chansons qu’Emily Loizeau a su composer. La Souterraine, un des morceaux électriques du disque, l’un des plus rapides, un morceau désespéré sur notre capacité à aller dans le mur malgré les avertissements (« il semble que rien ne nous arrête, tant que tourne la boule à facettes »). La voix d’Emily Loizeau se casse lorsqu’elle fait ce constat macabre. Autre moment de grâce désespérée sur la fin d’un monde, la pluie qui ne tombe plus, les oiseaux qui ne volent plus, L’enfant qui parlait au nom du soleil. Le rythme a ralenti de nouveau, le morceau est plus dépouillé. Une simplicité désarmante pour délivrer un message puissant. Et la mélodie et la voix sont parfaites, presque morbides encore, très émouvantes. Bouleversant. On a les larmes aux yeux. Comme sur Ici commence la mer… un morceau dont la mélodie est si belle qu’elle pourrait se suffire à elle-même ; on imagine la chanson chantée a capella, même si les arrangements sont particulièrement réussis. Richesse musicale, dépouillement, émotion intense…
Pour nous remettre de cette intensité, Emily Loizeau a ajouté des morceaux plus électriques de l’album, rock, avec des dissonances surprenantes, des riffs de guitares (Stuck Inside, Strong Enough) ou même blues (Strong Enough). Des morceaux moins émouvants peut-être, mais musicalement très intéressants, qui démontrent aussi et encore cette capacité à mélanger les genres. Ou encore une sorte d’intermède, Zuhra, gymnopédie à la Satie, bande originale de film (qui nous rappelle qu’Emily Loizeau a aussi composé des musiques pour « images » comme elle le dit elle-même).
Alain Marciano