Rétrospective des années 60 vues par le petit bout de la lorgnette, c’est-à-dire nos goûts personnels plutôt que les impositions de « l’Histoire ». C’est en août 1967 que sort le premier album du Pink Floyd, incontournable grâce à l’esprit fantasque de Syd Barrett, qui a initié le psychedelic rock en Angleterre.
Février – mai 1967, Studios EMI d’Abbey Road : Norman Smith supervise les sessions d’enregistrement du premier album du Pink Floyd, aux côtés de Syd Barrett à la console, et Roger Waters observe avec fascination leurs expérimentations sonores. A quelques mètres de là, les Beatles enregistrent Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Londres est l’épicentre du Swinging Sixties, un renouveau intellectuel et artistique sans précédent, dont l’incarnation suprême se concrétisera à travers la musique.
Nick Mason, Roger Waters et Rick Wright se sont rencontrés en 1963 au Regent Street Polytechnic de Londres, et ont formé le groupe Sigma 6, avec Keith Noble et Clive Metcalfe. Bob Klose en devient le guitariste lead, au cours d’une période transitoire où la formation change plusieurs fois de noms (Meggadeaths, The Screaming Abdabs…). Avec l’arrivée de Syd Barrett, étudiant en art à Cambridge, le groupe prend une tout autre direction, et adopte le nom de Pink Floyd Sound : chez Mike Leonard, un architecte féru d’électronique, les premières répétitions finissent par devenir de véritables improvisations, et pour Bob Klose dont l’approche était plus jazzy, il devint évident qu’il lui fallait partir. Il accompagnera toutefois le groupe sur scène jusqu’à l’été 1965.
Les premières prestations scéniques ont lieu à L’UFO, au Marquee et au Roundhouse, clubs musicaux de l’underground. En studio, cinq titres sont enregistrées dont Lucy Leave, prémonitoire à bien des égards. Le répertoire s’articule autour de riffs R&B inspiré de Bo Diddley ou Chuck Berry. Mais c’est sur scène, lors d’improvisations totalement noisy et expérimentales, que Syd Barrett s’affranchit des interminables jams blues, utilisant sa fameuse Binson Echorec, et créant ainsi une musique d’avant-garde. Repérés par deux managers, Peter Jenner et Andrew King, le Pink Floyd Sound signe avec Blackhill Enterprises. Aux improvisations scéniques, s’ajoutent des jeux de lumières et de miroirs, des gels mouvants et des diapositives, confectionnés par Mike Leonard, qui résonnent parfaitement avec les sonorités élastiques de la musique, et avec les échos d’accords guitare-claviers, qui seront les germes de Astronomy Domine.
L’importance de la ville de Cambridge – et de personnalités comme John Hopkins, Barry Miles ou Joe Boyd – dans l’émergence du mouvement psyché ne doit pas être minimisée, même si c’est à Londres que se produira « l’explosion » de Pink Floyd en particulier. Après le succès du 45 Tours Arnold Layne, The Piper At The Gates Of Dawn est sur bandes. La fender Esquire de Barrett explose en bouquets sonores, Lucifer Sam semble être la musique d’un James Bond sous LSD. Les compositions sont beaucoup plus cadrées, grâce notamment aux prises de Peter Bown, assisté de Rick Wright dont le cursus musical hérité de Stockhausen répond aux expérimentations de Syd Barrett. L’album oscille entre chansons pop, comptines, mysticisme, jusqu’au fameux Interstellar Overdrive (enregistré en seulement deux prises), pièce de 9 minutes qui ouvre la face B. Avec ce titre instrumental, les portes du space-rock sont désormais franchies, à la manière de Sun Ra, mais dans une approche psychédélique.
The Piper At The Gates Of Dawn s’inspire aussi très clairement de la littérature anglaise et de la culture baroque britannique, et les textes sont d’une étrangeté qui résiste à l’analyse. Il contient d’ailleurs l’une des compositions des plus « british » et des plus bizarres de tout le répertoire du groupe, Bike. Comme dans un conte pour enfants, déjà évoqué dans The Gnome ou The Scarecrow, deux titres qui préservent le rideau magique de la nature corrodée par le monde réel, Bike semble être l’élément tragique de régressions enfantines : il ouvre la boite de Pandore, d’où s’échappe une pléiade d’animaux, un bestiaire imaginaire de créatures, concluant l’album dans une sorte d’opéra métaphysique, une fable télescopant le mur de la réalité.
De Grantchester Meadows, où il aimait puiser son inspiration, jusqu’aux rives du Sud de la France, là où lors d’un bref roadtrip avec David Gilmour, il apprendra son éviction, Syd Barrett est au sommet d’une gloire qui brisera en fait ses liens avec l’art, la peinture et la musique. Dans son regard charbonneux, qui transparait sur la pochette, on pouvait déjà déceler son tragique destin de comète consumée avant même d’atteindre la surface terrestre : car la flamme dans le regard de Syd a très vite disparu… En particulier sous la pression commerciale issue du contrat passé avec EMI Records, qui exigent que le Floyd enregistre un 45 tours plus conventionnel, idéal pour les radios : ce sera See Emily Play, et le début de la lente descente aux enfers de Syd. Des circonstances qui vont mettre en danger sa perception du réel et mettre sa raison à rude épreuve, à tel point que son équilibre va totalement s’effondrer suite à une consommation excessive de LSD. David Gilmour, un ami d’enfance, vient consolider le groupe sur scène, après une tournée aux Etats-Unis désastreuse, où Syd restait figé sur scène, et surtout après un passage télé pour l’émission American Bandstand de Dick Clark où Syd semblait complètement absent. En novembre 1967, l’existence même du groupe est d’ailleurs remise en question…
Syd Barrett a progressivement disparu de notre réalité, il est mort d’une manière lente en échappant littéralement à la vie et en glissant hors de tout ce qui peut faire présence au monde. La postérité retiendra aussi de lui deux albums solos erratiques, mais au delà de ce chaos, il est responsable d’un enchevêtrement de sonorités nouvelles ouvrant la voie à des groupes comme Hawkwind ou Amon Düül II. Syd Barrett reste le pionnier d’une odyssée psychédélique inachevée, de visions liées à une esthétique sonore dont les Oh Sees, Black Angels et bien d’autres groupes se revendiqueront.
The Piper At The Gates Of Dawn reste à ce jour comme l’un des albums fondamentaux du Pink Floyd.
Frank irle
Pink Floyd – The Piper At the Gates of Dawn
Label : EMI Columbia
Paru le 4 août 1967
très instructif j en connais un peu plus sur ce groupe exceptionnel ce sera ma musique qui m accompagnera pour ma crémation