[Live Report] Crack Cloud et Clothing à la Maroquinerie : une magnifique soirée lumineuse…

On attendait avec impatience le retour à Paris de Crack Cloud, deux ans après leur performance au Trabendo, et on n’a pas été déçus : démontrant une maturité et une maîtrise impressionnante, les Canadiens ont littéralement enchanté notre soirée. Aidés qui plus est par une première partie magique en compagnie de Clothing, jeune artiste mexicain dont il faut retenir le nom…

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Crack Cloud à la Maroquinerie – Photo : Robert Gil

Bien entendu, tous ceux ayant assisté au concert de Crack Cloud au Trabendo il y a deux ans se souviennent de la beauté et de la force de ces moments vécus en compagnie de ce groupe, pardon de ce collectif – il y avait alors 13 personnes sur scène ! – capable d’un grand écart improbable entre free jazz, rock progressif, art punk et « déjante » alternative. Cette année, c’est la Maroquinerie, sold out pour l’occasion, qui accueille ceux que l’on peut considérer – en dépit de la rude concurrence – comme le groupe canadien le plus excitant de la décennie.

2024 09 07 Clothing Maroquinerie RG (4)20h15 : Avec quinze minutes de retard sur l’horaire prévu, sans doute pour attendre qu’un peu plus de public remplisse la salle, les Parisiens étant peu pressés d’arriver ce soir, un-e jeune artiste entre en scène, armé-e d’une simple guitare Yamaha laquée blanche. Et curieusement vêtu-e : stetson noir, lunettes noires, chemise blanche imprimée, short noir et bottes pointues. Clothing, car c’est sous ce nom qu’iel chante, est un-e jeune queer mexicain-e, que Crack Cloud ont déniché-e on ne sait où pour les accompagner dans leur tournée européenne (iel nous avouera que c’est là sa première visite en Europe !). Mais dès que, sur quelques accords de guitare, sa voix s’élève, manquant d’assurance au début (sans doute l’effet du stress !), la magie de Clothing opère : dans des tonalités extrêmement féminines, d’une beauté singulière, iel nous chante de petits textes – en espagnol – qui semblent narrer sa vie, que l’on peut imaginer parfois difficile dans la société mexicaine, d’une manière concise, élégante, poétique, mêlant ordinaire et sublime avec une simplicité remarquable. D’un titre à l’autre, on se sait pas s’il faut rire ou pleurer, et c’est bien là la grâce de ces petites pièces musicales mêlant tendresse, douleur et humour dans des proportions toujours différentes : Nueces, par exemple, poignant, témoigne des nombreuses « disparitions » endeuillant le Mexique, alors que quand Clothing chante une chanson écrite pour sa mère, dont iel nous dit qu’elle la déteste, la franchise avec laquelle iel s’exprime ne peut que faire sourire… Ce seront 35 minutes de beauté suspendue (aux lèvres de Clothing, même si comprendre l’espagnol était nécessaire pour profiter pleinement du set), un cadeau inattendu et un merveilleux début de soirée.

Il faut noter que Clothing n’a pas encore publié ces chansons, les titres disponibles sur Bandcamp étant issus d’un spectacle expérimental n’ayant rien à voir avec ce à quoi nous avons assisté ce soir. Il vaut mieux, pour se faire une idée, regarder et écouter l’enregistrement de Alucinidad disponible sur YouTube chez Tin Angel Records.

2024 09 07 Crack Cloud Maroquinerie RG21h15 : On s’en doutait, vu la taille de la scène de la Maro, mais les musiciens de Crack Cloud ne sont qu’au nombre de six : en plus des deux frères Choy (le leader Zach qui chante la plupart des titres, et est en outre la colonne vertébrale de la musique derrière sa batterie, placée plein centre, et le guitariste Will), nous avons l’incontournable Aleem Khan, officiant désormais à la basse, et beaucoup plus calme qu’auparavant, un second guitariste, un seul saxophoniste – œuvrant en outre aux claviers -, et une jeune femme (une « associée », selon les termes habituels du collectif ?) au chant et aux claviers, elle aussi. La scène est bien remplie, avec tout le matériel et les pieds de micro, puisque tout le monde chante à un moment ou à un autre, et le son sera excellent, même au premier rang.

Il faut tout de suite souligner que Crack Cloud, en 2024, n’ont plus grand-chose du groupe punk surexcité que nous avions découvert il y a quatre ans, ce qui pourra décevoir ceux qui ne retenaient de leurs concerts que les moshpits frénétiques sur des titres épileptiques : aussi bien dans leur musique que dans leur attitude, Crack Cloud ont mûri (vieilli ?), et ont acquis une maîtrise époustouflante. Comme sur leur nouvel et excellent dernier album, Red Mile, qui constituera une grande partie du set d’une heure quinze, leur musique – magistrale désormais – évoque plus le free jazz et le rock progressif qu’autre chose. Mais surtout, elle est devenue formidablement lumineuse, extatique même par instants, et donc capable de porter le public vers de grands moments de plaisir serein. Qui l’aurait cru ?

2024 09 07 Crack Cloud Maroquinerie RGLe set début de manière idéale par la merveilleuse ouverture de Red Mile, Crack of Life : comment ne pas chanter avec Zach des choses aussi positives que « Time / We Got Time / … / Come all ye join us / Let’s all have some fun / From microbe to the matrix / We’ll outlive our sun… » (Le temps / Nous avons le temps / … / Venez tous nous rejoindre / Amusons-nous tous / Du microbe à la matrice / Nous survivrons à notre soleil) ? The Medium nous rappelle quand même que Crack Cloud a toujours du mordant, et que ce n’est pas parce qu’une indéniable harmonie illumine sa musique, qu’on ne peut pas brailler tous en chœur des mélodies énervées !

Lack of Lack, pas si loin des expérimentations progressives d’un King Gizzard, et dans une version live – bien sûr – plus puissante que celle de l’album, nous offre un moment de transe collective : le genre de bonheurs qui justifient pleinement notre amour de la musique jouée sur scène. En avant-dernière position, la longue réflexion planante de Lost On The Red Mile nous perd un peu, mais les frères Choy savent qu’il convient de clore leur set par un dernier titre, puis un rappel qui permettent au pogo de retrouver ses droits dans un concert de Crack Cloud : des tueries joyeuses, frénétiquement martelées comme Drab Measure et Tunnel Vision (entre Talking Heads et XTC, rappelons-le pour ceux qui n’ont pas vécu la fin des années 70) permettront à ceux qui ne sont pas totalement satisfaits par l’évolution musicale ambitieuse du groupe de retrouver leurs marques.

En sortant, ravis, de la Maroquinerie, nous n’avions finalement qu’une seule question en tête : quand est-ce qu’ils reviennent ? Pas dans deux ans, espérons-le !

Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil

1 thoughts on “[Live Report] Crack Cloud et Clothing à la Maroquinerie : une magnifique soirée lumineuse…

  1. Merci, merci pour ce Live Report très fidèle (en tout cas décrit bien ce que j’ai vécu), y compris la présentation de la petite bulle tendre et poétique inattendue de Clothing. Oui on a hâte que Crack Cloud repasse par ici…

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