« Tu n’auras pas mon silence » : les mécanismes de l’emprise

En démontant minutieusement et clairement les mécanismes de l’emprise au sein du couple, Tu n’auras pas mon silence fait œuvre d’utilité publique. Mais s’avère également un remarquable thriller psychologique.

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© 2024 Rivière / Steren / Marabulles

On parle souvent « d’emprise », sans forcément avoir une idée très claire de ce que ce terme signifie, dans le domaine psychologique en tous cas. Et pourtant, c’est un mécanisme qui se met assez souvent en place, au sein du couple, bien entendu, mais pas seulement : c’est également au travail où le harcèlement professionnel peut revêtir un aspect d’emprise, voire même dans les relations familiales ou amicales. On sait bien entendu – car de nombreux romans ou films ont décrit ce genre de situation « extrême » -, que les pervers narcissiques ont souvent recours à ce type de domination sur leurs victimes, mais on ne réalise pas forcément que le « manipulateur » n’a pas forcément besoin d’être atteint d’une pathologie aussi grave pour se livrer à ce genre de « jeux ».

Tu n auras pas mon silence couvertureMarie, l’héroïne de Tu n’auras pas mon silence, a été la victime d’un compagnon abusif, qui a mis en place pour la contrôler totalement – cœur, corps et âme – des stratégies de manipulation psychologique, érodant progressivement la confiance en soi de Marie, la transformant en une victime – y compris de véritables viols conjugaux – consentante de ses violences mentales et physiques. Marie a toujours cru, envers et contre toute évidence, qu’il s’agissait là d’amour, et a vécu de nombreuses années de souffrances, de ruptures et de réconciliations « passionnées », mais surtout douloureuses. Une relation « toxique », comme on dit désormais, qu’elle a pourtant, encore et encore, refusé de voir se terminer, jusqu’au jour où, pour survivre, il lui a fallu affronter la vérité.

Florence Rivières, la scénariste, raconte ici sa propre expérience de modèle photo, au sein d’une histoire dont on ne tentera pas de démêler la part autobiographique de la part de fiction, tant ce qui est important est la précision, la justesse de la description des situations vécues par Marie, et de leur impact dévastateur sur sa psyché, sur sa vie. Mais, comme la relation entre Marie et son bourreau est passée par de nombreuses péripéties, par plusieurs phases de rupture et de recommencement, Rivières a fait le choix – sans doute pour plus de dynamisme – d’éviter une narration chronologique, et de mêler les époques : même si les tonalités des couleurs des pages sont sensées nous guider à travers le labyrinthe des différentes époques, il faut reconnaître qu’on se perd régulièrement entre les épisodes de la vie de Marie. L’effet de cette construction amplifie le sentiment que Marie se trouve piégée dans une « vie sans issue », ce qui est évidemment fort, mais le lecteur y perd quand même un peu du confort – et du plaisir- de la lecture.

Le dessin de Juliette Steren porte efficacement cette histoire riche et complexe, mais on aurait préféré plus d’imagination, d’émotions aussi, dans la représentation de situations psychologiquement aussi extrêmes. Le résultat est que Tu n’auras pas mon silence n’est pas une « grande bande dessinée » : c’est seulement un livre fort, entre thriller psychologique et analyse objective, lucide, d’un phénomène dont bien des personnes sont victimes sans, comme Marie, le savoir ou l’admettre.

Eric Debarnot

Tu n’auras pas mon silence
Scénario : Florence Rivières
Dessin et couleurs : Juliette Steren
Editeur : Marabout (Marabulles)
Date de parution : 29 mai 2024

Tu n’auras pas mon silence – Extrait :

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