Premier roman présenté par son éditeur comme “malicieux, pop et acidulé”, Girlfriend On Mars est tout cela et sans doute un peu plus. Entre satire de notre époque et expression des angoisses contemporaines, le livre de Deborah Willis s’impose comme l’une des belles découvertes de cette rentrée littéraire.
Kevin et Amber, deux trentenaires installés à Vancouver, forment un couple étonnant. Fille aînée d’une famille très chrétienne, elle a été élevée dans la discipline et a failli devenir championne de gymnastique avant qu’une blessure ne mette un terme à ses rêves. Réceptionniste dans un grand complexe, elle s’ennuie un peu et éprouve une angoisse grandissante face à l’effondrement qui menace notre monde. Lui a renoncé à devenir scénariste, il joue les figurants pour gagner (un peu) sa vie, végète beaucoup sur leur canapé et cultive des plants de cannabis dans la chambre d’amis de leur appartement. Kevin et Amber s’aiment depuis quatorze ans mais l’inertie de Kevin et le désir de changement d’Amber les éloignent imperceptiblement l’un de l’autre… Et lorsque la jeune femme s’inscrit au casting de MarsNowTM, le fossé qui les sépare devient un gouffre…
MarsNowTM, c’est la nouvelle émission de télé-réalité imaginée par Geoff Task (sorte d’avatar littéraire d’Elon Musk) : les candidats de toutes les nationalités ont été triés sur le volet. Pendant plusieurs semaines, ils vont devoir participer à de nombreuses épreuves, un peu comme dans Koh-Lanta. Puis, les deux gagnants seront envoyés sur Mars pour une mission consistant à rendre la planète rouge plus habitable. Et, contre toute attente, Amber est sélectionnée et devient l’une des stars du show, tandis que Kevin suit ses aventures depuis son canapé, en fumant des joints avec son pote Marcus.
Dès les premières lignes de son roman, Deborah Willis impose un ton très frais. En donnant la parole à Kevin dans les chapitres qui lui sont consacrés, ou en suivant pas à pas le parcours d’Amber, elle construit une réjouissante satire de notre époque et use d’une ironie mordante mais jamais gratuite. La romancière décortique et ausculte notre rapport au monde et au réel avec beaucoup de malice et d’intelligence. Tout y passe (ou presque) : les réseaux sociaux, les régimes alimentaires, nos idéaux autant que nos renoncements, l’hypocrisie généralisée, les contradictions entre nos aspirations et nos modes de vie… Deborah Willis excelle dans l’art de révéler nos faiblesses. Pour autant, son humour n’est cruel que parce qu’il est pétri d’humanité. Ainsi, on ressent en permanence son amour pour ses personnages. On s’attache très vite à Kevin et à Amber. Le jeune homme émeut de plus en plus à mesure que l’on avance dans le récit : la romancière parvient à rendre compte avec beaucoup de justesse de l’amour qu’il éprouve pour Amber mais aussi de toutes les peurs qui l’empêchent de sortir de chez lui. Quant au portrait d’Amber, il impressionne lui aussi par sa complexité qui ne se dévoile que progressivement.
Si le roman pèche un peu par sa longueur – sans doute l’ensemble aurait-il mérité d’être élagué -, il séduit aussi et surtout par son ton aussi juste et sincère, et par son dénouement grave et émouvant. Autrement dit, ce Girlfriend On Mars est un premier roman très prometteur et une très belle surprise au milieu de cette rentrée littéraire surchargée.
Grégory Seyer