[Netflix] « Kaos » : les Dieux sont tombés sur la tête ! (… et les hommes, c’est pire !)

On pourrait croire a priori que Kaos allait reprendre l’approche iconoclaste et hilarante des Monty Pythons vis à vis de la foi et de la politique, mais la série de Charlie Covell trouve sa propre voie, pas si loin de la vraie tragédie grecque. Une réussite inattendue.

Kaos
Misia Butler – Copyright Justin Downing/Netflix

Le pitch de départ de Kaos intrigue, et laisse à la fois espérer une belle partie de rigolade et craindre un vrai désastre : dans un univers dystopique, les Dieux grecs sont toujours vénérés par l’humanité, mais Zeus, de plus en plus désaxé et paranoïaque, pique une grosse crise, se sentant menacé par une prophétie promettant le Chaos et semblant en passe de se réaliser. Ce qu’il n’imagine pas, c’est que c’est son meilleur « ami » et sa victime favorite, Prométhée, qui a ourdi contre lui un complot diabolique impliquant Orphée et Eurydice, mais aussi la famille du roi de Crète.

Kaos afficheLe fait que le rôle de Zeus ait été confié à un Jeff Goldblum qu’on est ravi de retrouver, surtout dans un rôle réjouissant mais surtout plus complexe qu’on l’imagine a priori (puisque Zeus passera littéralement par tous les états possibles au cours des 8 épisodes de la saison) est évidemment un bonus, même si l’on se rend compte rapidement que c’est tout le casting qui brille dans Kaos : car il y aussi les réputés David Thewlis (Hadès), Cliff Curtis (Poséidon), Stephen Dillane (Prométhée) ou Debi Mazar (Méduse), et surtout une jolie brochette de jeunes acteurs moins connus qui font des étincelles (Nabhaan Rizwan, hilarant Dionysos, Misia Butler, touchant Caeneus, ou encore Leila Farzad, impressionnante Ari…)

Et puis il y a l’imaginaire visuel – pas forcément très original, mais très réussi, très maîtrisé – déployé par l’équipe de Charlie Covell : la Crète ensoleillée (recréée en Andalousie, même si l’on peut se demander pourquoi), les enfers en univers de bureaucratie vaguement kafkaïenne dans un noir et blanc déprimant, et l’Olympe en paradis bling bling pour addicts d’Instagram. Des images fortes qui soutiennent un délire fantastico-kitsch pas si éloigné du travail d’un Terry Gilliam qui n’aurait pas complètement oublié son origine, au sein des Monty Pythons.

Mais en fait, tout cela n’est pas très important, ou tout au moins, l’intérêt de Kaos va nettement au delà de ses plaisanteries au second degré, de ses acteurs qui se régalement visiblement, et de sa surprenante originalité. La beauté du travail de Covell – à qui on devait la réussite de The End of the F***ing World (il y a 7 ans déjà) – est de nous cueillir par surprise via des scènes bouleversantes ou réellement terribles, qui nous rappellent que la Grèce, ce n’était pas seulement le pays de la mythologie, mais c’était surtout celui de la TRAGEDIE…

Et que le fait que Kaos soit aussi – en même temps ! – une satire brillante et cruelle des mensonges de la religion, de la stupidité de la foi, de la lâcheté des politiciens, de la bêtise des milliardaires tous puissants, de la vénalité des humains, de la cruauté de la famille (il y a un petit côté Succession aussi dans Kaos !) fait qu’on est peu à peu emportés par l’épopée folle et dérisoire qui nous est racontée.

Foin des ricanements devant Zeus en pyjama ou en survêtement kitsch, nous pleurons des larmes amères devant la manière dont le roi Minos a trahi ses enfants, devant le mensonge qu’a été l’amour entre Orphée et Eurydice, devant le sort cruel réservé aux survivants de la Cité de Troie détruite, qui sont traités comme des citoyens de seconde zone (comme tous nos réfugiés actuels que nous ne voulons apparemment pas accueillir chez nous !), devant… mais il vaut mieux vous laisser vous-même découvrir toutes ces histoires tellement modernes, tellement pertinentes que Kaos met en scène, et qui répètent encore et encore le drame de l’Humanité.

On aurait aimé que Kaos se termine sur ses brillants septième et huitième épisodes, dont on est bien en peine de tirer une morale sensée, et qui pourtant dépeignent parfaitement le Chaos qu’est en effet notre monde actuel. Malheureusement, il semble qu’il y aura une suite à cette histoire, dont on craint forcément qu’elle dilue la force de ce qu’on vient de regarder.

PS : un minimum de connaissance de la mythologie grecque est bien entendu nécessaire pour apprécier toute l’intelligence du scénario : nous vous conseillons donc de réviser vos classiques avant de vous lancer dans Kaos !

Eric Debarnot

Kaos
Série britannique de Charlie Covell
Avec : Jeff Goldblum, Janet McTeer, Stephen Dillane, Aurora Perrineau, Nabhaan Rizwan, Killian Scott…
Genre : drame, comédie, fantastique
8 épisodes de 50 minutes mis en ligne (Netflix) le 29 août 2024