[Live Report] King Hannah et Pina Palau à la Maroquinerie (Paris) : la magie…

Nous avons passé une remarquable soirée hier soir avec King Hannah, sans savoir forcément expliquer par des mots pourquoi leur musique nous a saisis. Et inspirés. On appelle ça la magie, non ?

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King Hannah à la Maroquinerie – Photo : Robert Gil

King Hannah : si vous ne le connaissez pas encore, retenez ce nom, « They’re Gonna Be Big » comme on dit en ce moment… Car une Maroquinerie sold out avant qu’on ait eu le temps de réagir, et un second concert déjà programmé pour décembre à la Gaîté Lyrique, pas moins, ce sont des signes qui ne trompent pas…

2024 09 12 Pina Palau Maroquinerie RG (3)20h15 : … même si la salle n’est pas encore très remplie lorsque la jeune Suissesse Pina Palau entre, armée de sa seule guitare : la faute aux orages qui se sont abattus sur Paris en fin d’après-midi ou bien l’habituel retard des Parisiens ? On ne connaît pas beaucoup Pina Palau en France, il faut aussi le reconnaître : la jeune femme, basée à Zurich, joue une sorte d’indie rock / indie folk qui peut rappeler celui de Courtney Barnett, en moins mélodique sans doute. Comme Courtney, Pina a ce talent pour parler de la vie quotidienne avec finesse et humour, comme en témoigne le meilleur titre du court set de 25 minutes qu’elle nous offrira, Modern Home, son dernier single : il s’agit d’une chanson sur la difficulté d’emménager dans un appartement neuf, dénué de traces de tout habitant antérieur, alors qu’elle a longtemps habité dans des colocations où le frigo était couvert de photos de locataires précédents, oubliés depuis. Pina est malheureusement seule sur scène (« il n’y avait qu’une seule place dans la voiture de King Hannah… », nous explique-t-elle), alors que sur disque, ses chansons, orchestrées et interprétées par un groupe, ont une ampleur qui va clairement leur manquer ce soir. Pina manque sans doute encore de présence pour porter sa musique de cette manière, plus dépouillée : son set, délicat et subtil, manquera d’aspérités, et nous décevra un peu par rapport à ce que nous connaissons d’elle sur disque.

2024 09 12 King Hannah Maroquinerie RG21h05 : la Maroquinerie est maintenant bien remplie d’un public qui n’est pas celui habituel pour les jeunes groupes « débutants » : un public plus mûr, qui doit correspondre aux lecteurs de Télérama et aux auditeurs de France Inter. Un positionnement « culturel » de King Hannah en France qui porte visiblement ses fruits. Et que nous ne moquerons pas – au diable ces absurdités de « crédibilité rock’n’rollienne » qu’on nous ressassait au siècle dernier ! – puisqu’il assure un concert dans des conditions idéales : dans l’atmosphère comme toujours chaleureuse de la Maroquinerie, des spectateurs attentifs à chaque nuance de la musique de King Hannah, silencieux pendant les chansons, mais extrêmement enthousiastes pendant les intervalles. Hannah Merrick réalisera très vite qu’il se passe quelque chose de « magique » ce soir, une communion idéale entre le groupe et le public : « Ce set est le meilleur de la tournée ! », nous affirmera-t-elle très vite, avant, plus tard, de revenir sur ses propos : « Non, ce set est le meilleur que nous ayons jamais donné ! ». Ceci affirmé avec une sincérité désarmante, ce qui fait qu’on a envie de la croire, et de ne pas prendre ça pour l’habituel baratin des musiciens fatigués de trop tourner et ne se souvenant même plus dans quelle ville ils sont…

On sait que la musique des Liverpuldiens Hannah et Craig White – à la guitare sonique – n’a pas grand-chose de britannique, et que les références qui viennent forcément à l’esprit sont plutôt d’outre-Atlantique : Mazzy Star bien sûr, Lou Reed et son Velvet (période troisième album, mais en imaginant que Nico soit restée avec le groupe), et toute une tendance indie rock dépressif misant sur l’envoûtement de ses auditeurs plutôt que sur le spectacle et la mise en scène des émotions. On peut néanmoins assimiler King Hannah, sur les morceaux en format « spoken word », à ce groupe cousin qu’est Dry Cleaning, ce qui permet quand même de distinguer l’approche bruitiste de Craig White à la guitare (plutôt dans la lignée Neil Young) de celle, très post-punk british et donc (à notre avis) plus « dans l’air du temps », de Dry Cleaning.

2024 09 12 King Hannah Maroquinerie RGCeci posé, si nous avons tendance au sortir de cette soirée à la Maroquinerie à mettre King Hannah sur un piédestal par rapport à ses concurrents, c’est clairement parce que quelque chose de « magique », d’indécidable et pourtant de bien tangible, s’est passé au cours de ce set. Tout le monde (enfin, on imagine) est sorti de là en disant : « J’ai beaucoup aimé, mais je ne sais pas vraiment pourquoi ! ». Un phénomène pas si habituel, et qui s’est traduit par des conversations qui se sont éternisées une fois la dernière note de Big Swimmer (la chanson) jouée en rappel : chacun a cherché dans ses références et dans sa mémoire, mais surtout au fond de son cœur, les raisons de cet enchantement…

Bon, quelques détails quand même sur cette heure et quinze minutes « hors du monde » : Hannah était en robe rouge à volants et froufrous, mais portait des baskets un peu pourries aux pieds. Sans être démonstrative, sauf vers la fin, quand elle a exprimé clairement sa joie, ce petit brin de femme impose une présence indiscutable. Sa voix, qui n’est pourtant pas celle d’une « grande chanteuse » traditionnelle, est un instrument littéralement surnaturel. A sa gauche, Craig déchaîne régulièrement une tempête de guitare saturée, qui ne contredit pas la douceur du chant, mais la souligne, la met en valeur. Disons-le sans détour, le style de Craig, le son de sa guitare, nous ont totalement bluffés. A droite d’Hannah, une section rythmique, quasiment invisible dans l’obscurité, ajoute la bonne puissance quand il le faut aux morceaux, et relance la machine quand on pourrait trouver qu’elle tourne un peu à vide dans une contemplation répétée de micro-sentiments et sensations. L’efficacité du tout est imparable.

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La setlist était constituée de la totalité des titres de l’album Big Swimmer, sauf l’intermède instrumental de Scully, à laquelle s’ajoutent le formidable Go-Kart Kid (Hell No!) et l’incontournable « mini-hit » Crème Brûlée, pour clore le set avant le rappel. Il est difficile de dire ce que nous avons préféré, tant tout ça s’est déroulé comme un très long rêve, mais n’oublions pas quand même que This Wasn’t Intentional – sans Sharon Van Etten, évidemment – a été l’un des moments les plus applaudis.

Les mots nous manquent donc pour qualifier plus finement cette soirée à la Maro, nous ne pourrons que recommander à ceux qui n’étaient pas là de ne pas manquer le prochain passage parisien de King Hannah, en décembre, donc.

Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil