« Mesopotamia » de Olivier Guez : Gertrude d’Arabie

Dans son formidable et passionnant Mesopotamia, Olivier Guez nous conte la vie de de l’aventurière Gertrude Bell. Un récit très documenté qui nous fait pénétrer dans les coulisses pas toujours reluisantes de l’histoire.

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© JF Paga

Sans transition, vous connaissiez Lawrence, son déguisement de roi mage, les yeux de Peter O’Toole qui avait oublié ses Ray-ban et « Les sept piliers de la sagesse », son récit autobiographique plus long qu’une traversée du désert. Et bien découvrez avec jubilation et un très fort indice UV, Gertrude Bell, très prude aventurière, à qui Olivier Guez offre une postérité littéraire amplement méritée. Nicole Kidman l’a aussi incarnée au Cinéma dans La Reine du désert de Werner Herzog.

 Mesopotamia de Olivier GuezArchéologue, alpiniste, exploratrice, infirmière volontaire, écrivaine, diplomate, espionne et opiniâtre (pour ne pas dire franchement têtue), cette lady (1868-1926) un peu frigide, fille d’un très riche industriel anglais avait le goût des voyages, la passion des vieilles pierres, un désir fou d’Orient et une âme dévouée à la Couronne Britannique. Gertrude save the King.
Cette grande dame de l’histoire du Moyen-Orient va jouer un rôle majeur d’agent de liaison durant la première guerre mondiale et son influence ne sera pas moindre dans la création de l’Irak. Elle laissera moins de trace dans le courrier du coeur. Pas de baby Bell.

Olivier Guez a le mérite de ne pas faire de la vieille fille une sainte. Ce n’est pas Jeanne d’Arc qui bronze à Byzance. La faiseuse de roi n’était pas un ange. Fidèle de l’empire Britannique, elle ne reculera devant aucune intrigue ou manipulation pour servir les intérêts impérialistes de son pays ou pour imposer sa présence féminine aux hommes de pouvoir. Elle aura l’oreille de Churchill, l’amitié de Lawrence, le respect du roi irakien Fayçal, la confiance de Sir Percy Cox et la dent dure contre tous ceux qui voulaient la renvoyer en Angleterre boire du thé en lisant du Jane Austen.

L’auteur, dans un récit qui fragmente la chronologie dans un tango diplomatique parfois difficile à suivre, un pas en avant et deux pas en arrière, ne cache pas les paradoxes de son héroïne, sans jamais la juger. Bien qu’en avance sur son temps, elle ne sera jamais féministe, elle sera même secrétaire du comité de la ligue antisufragettes. Comme elle jugeait les arabes incapables de gérer leur pays en toute indépendance, son éducation très élitiste lui faisait dire et écrire que ses congénères n’avaient pas pour la plupart la jugeote et l’éducation pour posséder le droit de vote. Elle n’avait pas beaucoup de copines. Ses préjugés et un certain soupçon de vanité la conduiront à commettre aussi quelques erreurs politiques et stratégiques. La richesse de sa destinée contraste avec l’aridité de sa vie amoureuse qui ne fut traversée que de frustrations, de déceptions et de peur du grand méchant loup.

J’avais déjà apprécié La disparition de Josef Mengele, mais j’avoue que Mesopotamia m’a vraiment impressionné car ce récit m’a fait découvrir à la fois une figure méconnue extraordinaire et mieux comprendre la géopolitique de l’époque. de l’émergence du nationalisme arabe, aux accords de dupes Sykes-Picot de 1916, à l’instrumentalisation du Jihad, au rôle de la Turquie lors de la première guerre mondiale ou à la prise en considération sioniste, ce récit très documenté nous fait pénétrer les coulisses pas toujours reluisantes de l’histoire. Les querelles d’hier sont aussi les guerres d’aujourd’hui.

Si vous y ajoutez les pages consacrées aux récits de voyage dans les déserts, les campagnes de fouilles archéologiques dans le palais de Nabuchodonosor (qui a pris depuis un peu de bouteille), les réceptions dans les ambassades (sans Ferrero), les rues de Bagdad, les scènes de batailles, les reflets du Tigre et les troubles de l’Euphrate, vous avez de quoi lire avec vos lunettes de soleil. Je suis tellement amoureux du mot caravansérail que sa seule présence dans le roman justifie un prix littéraire.

Olivier Guez n’évite pas totalement le piège de l’overdose de documentation et certains passages qui relatent en détail les stratégies diplomatiques et les négociations territoriales obscures sans fin finissent par être redondantes. Les passionnés d’histoire vont se régaler au détriment des romantiques qui resteront sur leur faim côté léchouilles.
Allez, un dernier pour la route : caravansérail.

Olivier de Bouty

Mesopotamia
roman de Olivier Guez
Editeur : Grasset
416 pages – 23€
Date de parution : 14 août 2024

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