Alors qu’on a cessé de se passionner pour les films de Tim Burton depuis une bonne vingtaine d’années, voilà qu’il nous revient (presque) aussi frais qu’à ses débuts à la faveur d’un projet qui ne nous excitait pourtant pas beaucoup, la suite de son Beetlejuice. La renaissance d’un cinéaste qui avait perdu son âme ?
Il faut bien admettre que nous avons toujours eu pour le cinéma de Tim Burton – même dans ses films de commande les moins originaux pour la maison Disney – une certaine faiblesse. Mais, sous la torture, nous aurions rapidement avoué que la dernière fois qu’il nous a totalement emballés, ça a été avec Sleepy Hollow en 1999… voilà vingt-cinq ans déjà ! La nouvelle de la sortie d’une suite à Beetlejuice ne nous a donc pas enthousiasmés, et ce d’autant plus que Beetlejuice, s’il a marqué le démarrage de l’âge d’or de la filmographie de Burton, est loin d’être l’un de nos favoris !
Or, très rapidement, on se rend compte que Beetlejuice Beetlejuice est un film délicieux, réjouissant, qui relève brillamment le défi de la fidélité à l’original, pour le meilleur comme pour le pire (une histoire qui s’enfonce dans le n’importe quoi, des acteurs en roue libre, des effets spéciaux bricolés, le tout ne tenant ensemble que grâce à l’énergie foutraque du réalisateur), tout en reconnaissant que le public – surtout le jeune public – d’aujourd’hui a besoin d’un spectacle un peu plus « maousse costaud » pour être conquis. Burton a compris tout ça, mais a aussi admis que le personnage de Beetlejuice ne tenait guère que par la conviction de Michael Keaton, qui était encore plus nécessaire à la réussite du projet que Burton lui-même. Et, ce qui peut paraître anecdotique sauf que chez Burton, les femmes aimées occupant une place disproportionnée dans ses films, que son amour pour Monica Bellucci justifiait de la placer au centre de sa prochaine œuvre.
Il est difficile de résumer ce que raconte Beetlejuice Beetlejuice, mais essayons : à la mort tragique de Charles, leur père et grand-père respectif, dévoré par un requin, Lydia la chasseuse de fantômes (Winona Ryder, parfaite) et Astrid, sa fille pragmatique (Jenna Ortega, un peu en dessous du reste du casting), reviennent dans la maison de famille « où tout a commencé ». L’une et l’autre vont être victimes d’hommes feignant l’amour pour dissimuler leurs véritables buts, et vont devoir faire appel à Betelgeuse (Michael Keaton, of course !) pour s’en sortir. Mais l’ineffable fantôme a lui-même fort à faire pour échapper à son épouse resuscitée, terrifiante suceuse d’âmes (Monica Bellucci) qui veut se venger. Oui, c’est compliqué, et c’est ça qui est bien, en fait : si vous êtes plutôt du genre rationnel, il y a de grandes chances que ce gigantesque foutoir de scénario – qui retombe quand même sur ses pieds à la fin – vous irrite.
Mais ce qui émerveillera les (vrais) fans de Burton, c’est bien le déploiement délirant d’un imaginaire sans limites : les références au premier film (qu’il est indispensable d’avoir vu – et même revu récemment – pour apprécier celui-ci) servent de tremplin à de nouvelles idées fulgurantes, et surtout hilarantes. Car oui, on rit beaucoup (beaucoup plus que devant l’original, en fait), et on a droit à une (bonne) surprise quasiment à chaque plan pendant une heure trois quarts. Et on adore le fait qu’avec ce retour vers une certaine innocence de la « fantaisie » typique de ses débuts mémorables, Burton ait aussi retrouvé suffisamment son bon esprit de « bricolage » fauché qu’on aimait tant.
Alors, même s’il se termine par une conclusion brillante, Beetlejuice Beetlejuice n’est pas parfait : l’abattage de son casting de premier choix (dont un Willem Dafoe fascinant comme toujours) passe la plupart du temps devant l’émotion, qui n’est clairement pas la priorité de Burton, et le souci de bluffer le spectateur fait que le film privilégie les coups de force plutôt que de creuser certaines pistes alléchantes, comme par exemple celle de la comédie musicale. Une scène comme celle de l’embarquement à bord du « Soul Train », pour excitante qu’elle soit, aurait pu donner lieu à un véritable feu d’artifices de gaîté et d’imagination…
Mais, et c’est sans aucun doute le plus important, on retrouve ici, de manière inespérée, le Tim Burton que l’on aimait : gageons que, comme le flashback en italien (!) sur la rencontre tragique entre Betelgeuse et Delores le laisse entendre, l’amour de Monica a permis à Tim de retrouver une nouvelle jeunesse. On attend désormais, et à nouveau, avec impatience les prochains films de Tim Burton !
Eric Debarnot