« DJ Mehdi, Made in France » : Trajectoire d’un Prince de la ville

DJ Mehdi fut l’architecte sonore de certains des plus grands albums du rap français des années 90 (Ideal J, 113) avant de devenir l’une des têtes pensantes du label électro Ed Banger. Dans un documentaire d’utilité publique, retour sur la trajectoire unique de ce DJ et producteur majeur disparu tragiquement en 2011.

Dj Mehdi
DJ Mehdi: Made in France

13 septembre 2011, la nouvelle tombe et provoque un mélange d’incompréhension et de sidération: DJ Mehdi est mort. A 34 ans, le producteur a été victime d’un accident domestique fatal. Si le nom de Mehdi ne parle pas forcément immédiatement à une large audience, le torrent de messages de peine des plus grandes popstars de ce monde suffit à comprendre l’impact de la perte: Pharrell Williams, Diplo, Drake, Solange et tant d’autres rendent hommage à l’homme de l’ombre derrière tout un pan de la musique française des années 90 et 2000.

DJ Mehdi Made In FranceParce qu’en fait si, tout le monde connaît ce garçon sans le savoir. Petit prodige des machines sur lesquels il s’exerce depuis la pré-adolescence, DJ Mehdi va façonner un son unique, son propre style et devenir l’architecte sonore d’une bande de fous furieux qui marquera à jamais l’histoire du rap français: la Mafia k’1 Fry. On parle là d’une trentaine de mecs de banlieue, pour certains aussi proches de la musique que de la voyoucratie, auxquels un amoureux de la musique va donner une couleur, une direction artistique comme aucune autre dans ce milieu. Tout d’abord au sein de son propre groupe, Ideal J, en compagnie de Kery James, puis avec chaque entité et artiste affilié au crew.

Il sera là pour l’explosion de Rohff, d’Intouchable et tant d’autres mais surtout derrière l’incroyable succès de Les Princes de la Ville, premier album du 113, deux Victoires de la Musique et son million de disques vendus, album et singles confondus.
Et quand on parle singles, on parle bien d’hymnes générationnels tels que Tonton du Bled, Jackpotes 2000 ou encore le titre éponyme. Un opus singulier dans son ambiance, loin du son hardcore qui a pignon sur rue à l’époque. Ici les bpm sont élevés, on sample d’illustres inconnus, on mélange des breaks hiphop à des filtres électro et la magie opère.

Ce disque sonnera à la fois comme le sommet et la fin d’un chapitre pour un compositeur visionnaire, libre, à la recherche constante de nouveautés et d’inspiration. C’est ainsi qu’il s’éloignera petit à petit du monde du rap pour se rapprocher de celui de l’électro et notamment de la French Touch, en plein boom elle-aussi. Un grand écart impensable à l’époque mais comme seul lui en était capable. Une passerelle entre deux écoles que tout oppose à priori mais qu’il ne cessera jamais de vouloir rapprocher – ce qui donnera entre autre l’incroyable crossover 113 fout la merde avant Thomas Bangalter. Avec son manager, un certain Busy P, ils écumeront les scènes du monde entier en compagnie de Daft Punk et Cassius avant de monter un label mondialement connu et au succès phénoménal: Ed Banger Records. Porté par la hype Justice, le label et lui-même vivront leurs heures de gloire aux tournants 2010’s aux quatre coins du monde.

C’est ce parcours incroyable que retrace Thibaut de Longeville dans le magnifique documentaire DJ Mehdi: Made in France. Truffé de témoignages de proches et d’artistes (souvent les deux à la fois) mais également d’images d’archives fascinantes, ce format de six épisodes est un petit bijou de narration et de montage. Le réalisateur, compagnon de route du producteur, a pu puiser dans son trésor personnel pour habiller le récit. Des images de studio qui vont du processus de création aux coulisses de certains des plus grands morceaux cités plus haut. Où l’on découvre un gamin qui bricole son propre sampler, qui bidouille sur des machines inconnues de ses potes. Où l’on découvre un homme tour à tour rêveur, sûr de son fait, troublé ou fêtard absolu sur des tournées de rockstar. Si les néophytes découvriront donc le personnage dans sa globalité, les plus aguerris verront mieux l’homme derrière le génie.

Outre l’aspect biographique, ce documentaire est aussi un formidable outil de patrimoine socio-culturel et musical français. Ici s’oppose – gentiment – l’univers sombre du ghetto, le côté hardcore du rap au monde plus halluciné des soirées électro, deux courants musicaux qui vont exploser au même moment dans notre douce France et créer des remous chez les plus conservateurs. Et par le prisme de Mehdi, pont entre les deux, de comprendre qu’il y a plus de points communs que de divergences finalement dans bien des aspects.

Quand on voit aujourd’hui à quel point toutes les barrières sont tombées entre les genres, il est impossible de ne pas se demander où en serait le génial producteur désormais au milieu de tout ça. Il n’a pas connu l’exposition de certains contemporains mais peu d’entre eux peuvent se targuer d’avoir eu une telle influence sur autant de temps et d’avoir fait l’unanimité dans deux styles différents. Un devoir de mémoire à voir et revoir absolument. Magistral.

Alexandre De Freitas

DJ Mehdi: Made in France,
Documentaire de Thibaut de Longeville
6 épisodes de 30 à 50 minutes
Disponible sur arte.tv depuis le 12 septembre 2024

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