Tout quitter pour se sentir mieux dans ce monde qui court à sa perte : une solution ? Avec cynisme et fausse légèreté, le journaliste belge Quentin Jardon évoque les dérives du capitalisme actuel à travers les turpitudes existentielles d’un trentenaire lambda.
C’est là, sur une aire d’autoroute, en direction de leur location pour les vacances d’été, que Paul imagine l’inimaginable : abandonner femme et enfant près du restoroute. Et partir, loin. Fuir sa vie.
Humoriste bruxellois un peu à la ramasse depuis une vanne malheureuse dans son spectacle très médiatisé, Paul se cherche, et à l’aube de son passage pour une autre décennie, jeune papa angoissé à l’idée d’élever son garçon dans cette société en déliquescence, remet totalement en question sa vie, ses attentes. Et son idée de tout plaquer, en gestation dans ses pensées depuis un bail, explose d’un coup, au beau milieu de la route des vacances, dans sa voiture.
Le roman de Quentin Jardon lorgne vers l’humour ironique de Fabcaro et le cynisme un rien désabusé de Houellebecq pour explorer un sujet à la fois contemporain mais largement commenté : la déprime occidentale post-Covid, conséquence des désarrois socio-économiques et politiques des dernières années, qui amochent pas mal les citoyens un peu éclairés de nos pays européens. Urgence climatique, guerres, pouvoir d’achat, épidémies, terrorisme, violence sourde quotidienne… le mal-être actuel ressenti par pas mal de monde est ici évoqué de manière à la fois distante et drôle. Jardon revient sur les origines des angoisses de son personnage, qui a su surmonter ses peurs et doutes jusqu’au moment fatidique de l’Enfant. Cet être qui débarque dans une vie de couple fantasque et débridée pour en asseoir les contours et les pérenniser, quitte à faire émerger les premières craintes du « mais quel monde va-t-on lui laisser » en même temps que le sempiternel « va-t-on s’aimer TOUTE une vie ? à deux puis à 3 ? »
Rien de neuf sous le soleil des états dépressifs qui agitent nos sociétés occidentales, surtout après les périodes de confinement que nous avons connues, mais l’originalité de ce Chagrin Moderne est d’en tracer les contours tragico-comiques grâce aux atermoiements de Paul, qui centralise de manière presque stéréotypée tous les travers relous de nos contemporains quand ils se posent deux minutes pour réfléchir à leur condition humaine entre deux notifications sur leur portable et un coup d’oeil aux actus déprimantes sur les chaînes d’info en continu. Rien de neuf depuis Houellebecq, donc. Sauf les sujets de préoccupation plus écologiques qu’avant, ou les répercussions de nos actions. Ici, on réfléchit pas mal, mais on agit aussi, quitte à tout foutre en l’air. Et c’est ce moment de bascule, arrivant assez tard dans l’ouvrage, qui amène le lecteur vers un constat de plus en plus lucide et amer, et qui finit par nous bouleverser, nous faisant ainsi passer d’un cynisme un peu désinvolte et moqueur à des dernières pages fortes et empreintes de mélancolie amère.
Un premier roman accrocheur et qui laisse des traces de bile.
Jean-françois Lahorgue