Patrice Guérin aime Hergé, Tintin et le fameux fétiche arumbaya. Souvenez-vous : tour à tour volée, copiée et brisée, la petite et énigmatique statue de bois est l’héroïne malheureuse de L’Oreille cassée.
Depuis mon entrée en tintinophilie, je suis avec attention les sorties d’essais consacrés au Maître. Avec les années, le travail des experts s’est affiné, après les biographies hagiographiques, historiques ou psychanalytiques, les essais thématiques sur la mer, les voyages, l’histoire ou la science, les ouvrages consacrés à chacun des 24 albums, puis aux héros secondaires, Haddock, Tournesol, les Dupondt ou à la Castafiore, voici un solide travail dédié à un objet. Pas n’importe quel objet, il s’agit de la plus iconique, avec la fusée lunaire à damier, des créations d’Hergé : le fétiche arumbaya.
Dans une première partie, fort classique, Patrice Guérin présente le sixième album de la série, resituant le contexte de son écriture. Inspiré d’une véritable statuette chimiu, une civilisation précolombienne du nord du Pérou, présentée dans un musée bruxellois, le fétiche est le fil rouge du récit. Il est volé, puis rendu. Or, le fétiche a été copié. Seul Tintin remarque la supercherie et s’élance sur la piste des voleurs, qui le conduit en Amérique latine, terre de pronunciamientos et de trafics.
Pour la première fois, Hergé a travaillé le scénario et ancré Tintin dans la réalité belge, le dotant d’un appartement, d’une rue et d’un quartier. Patrice Guérin tente des parallèles entre Tintin, le fétiche et ce que l’on sait, ou croit savoir, de la vie de l’auteur. Il revient sur le mystère de son ascendance paternelle et sur le mal mystérieux qu’il craint ou fuit. Est-ce la folie ou une agression ? Seul Hergé et le fétiche savent. Mais, conformément à sa nature impassible et muette, le second a vu mais se tait. Le mystère demeurera.
La seconde partie s’attarde sur un évènement qui a secoué la vie belge, le vol du vrai-faux fétiche en 1979 lors d’une exposition consacrée à Hergé. La presse s’empara de l’affaire, la fiction rejoignait la réalité ! Hergé se prêta au jeu du « ravisseur », mais le fétiche sembla avoir, à jamais, disparu.
Édité par 1000 Sabords en couleurs et accompagné d’un riche choix d’illustrations, le livre est beau. Précise et sobre, la plume de Patrice Guérin est très agréable à lire. Bien que destiné à des passionnés, l’ouvrage ouvre des hypothèses séduisantes et apporte des révélations, notamment sur le sort du fétiche. Il se conclue sur une très belle illustration de Ted Benoit : la revanche des fétiches.
Stéphane de Boysson