Dans une démarche pour le moins audacieuse, Xavier Coste imagine une suite au roman culte de George Orwell, 1984, qu’il avait déjà adapté il y a deux ans. Aura-t-il réussi à égaler le maître, voire à le dépasser ? Verdict.
En Océania, le système politique a paraît-il changé. Pourtant, la guerre contre l’Estasia et l’Eurasia se poursuit, et Big Brother est toujours aux commandes. Le contrôle implacable des citoyens a été maintenu, et leur vie reste difficile, soumise aux pénuries liées à l’effort de guerre. Mais récemment, les milices du pouvoir, alors qu’elles tentaient d’appréhender un homme en train de taguer des slogans hostiles au régime, ont récupéré un livre tombé de sa poche lors de sa fuite : « Le Livre de Winston ». Après son adaptation remarquée de 1984, Xavier Coste nous propose une suite au célèbre roman de George Orwell.
Avec ce Journal de 1985, Xavier Coste, conforté par l’accueil critique et public de son 1984, ne s’est pas reposé sur ses lauriers. Admirateur d’Orwell, il remet les couverts en reprenant de nouveau l’univers de l’écrivain, univers qu’il s’est si bien approprié dans son adaptation qu’on pourrait y voir ici une suite logique. Un projet qui requérait tout de même un minimum d’audace, 1984 faisant office aujourd’hui de monument de science-fiction. Coste a donc extrapolé l’œuvre du maître en concevant un nouveau scénario et des nouveaux personnages.
Pour ce projet très ambitieux, on devine parfaitement la somme de travail qu’il a fallu à l’auteur. Celui-ci a su construire, en collaboration avec Philip Börgn, un scénario plutôt fluide, qui nous emmène dans les pas de Lloyd, un jeune homme rentré en résistance à travers un réseau clandestin. L’action se déroule dans un Londres fantomatique, gangréné par la misère et menacé par la ruine. Les caméras de Big Brother sont omniprésentes et le contrôle des citoyens implacable. Lloyd a décidé de raconter son quotidien qu’il ne consignera pas sur papier, le danger étant beaucoup trop grand de se faire repérer par la Police de la pensée. Ce journal sera « mental », et les phrases iront « se cacher dans un recoin obscur de [son] cerveau ». Il importe de ne laisser aucune trace, aucun écrit. Par la suite, Lloyd sera abordé par un inconnu qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau, débouchant sur un twist intéressant dans la narration. Il s’agit de son frère jumeau, Gordon, qu’il n’avait pas revu depuis des années, ce frère qui avait dénoncé ses parents en possession d’un livre de poésie…
A travers ce récit, de la même façon qu’il l’avait fait avec 1984, Coste exprime une fois encore sa crainte viscérale de voir une société fascisante utiliser la technologie de surveillance pour neutraliser toute opposition citoyenne. Cela reste puissant et convaincant dans le propos.
Quant au dessin, il demeure toujours d’une grande qualité artistique pour dépeindre cette glaçante dystopie. Toujours au bord de l’esquisse, dans une bichromie changeante aux couleurs maladives, le trait de Xavier Coste reste acéré, volontairement ingrat, froid et coupant, mais totalement en phase avec l’univers lugubre d’Orwell.
Sans atteindre le niveau du livre original et de son adaptation, Journal de 1985 s’avère une lecture honnête mais qui ne se détache pas suffisamment de l’œuvre parente pour se placer en incontournable. Le propos est aussi pessimiste, avec une mince lueur d’espoir à la fin, et le personnage de Lloyd reste finalement assez similaire à celui de Winston pour créer vraiment la surprise.
Laurent Proudhon
Pas une contradiction grossière, mais l’exposition de la duplicité de Lloyd, qui raconte la dénonciation comme émanant de son frère à ses amis conspirationnistes, auxquels il ne conviendrait pas de raconter sa faute passée, qu’il regrette amèrement. Il ne saurait cependant servir le même mensonge à son frère, qui connaît la vérité.