Avec son roman Le premier renne, Olivier Truc nous invite à faire connaissance avec le dernier peuple autochtone d’Europe, à suivre ces nomades et leurs troupeaux de rennes, comprendre les enjeux autour des gisements de terres rares.
Olivier Truc c’est notre frenchy devenu l’ami des rennes et des lapons : il vit depuis de nombreuses années en Suède, à Stockholm, où il a été correspondant pour Le Monde.
C’est la série « La police des rennes » (une sorte de police rurale de l’ethnie Sami) qui a placé cet écrivain en haut de nos étagères de polars.
Aujourd’hui sur les traces de ce « Premier renne », Olivier Truc nous emmène à Kiruna, la plus grande mine d’Europe. C’est sans doute l’épisode le plus abouti de la série (mais il peut se lire seul) : il vous plaira si vous aimez voyager, découvrir des cultures différentes, faire connaissance avec le dernier peuple autochtone d’Europe, suivre les nomades et leurs troupeaux de rennes, comprendre les enjeux géostratégiques autour des gisements de terres rares, et tout ça sans quitter votre fauteuil en feuilletant un bon bouquin doté d’une intrigue solide.
En chemin, Olivier Truc fera référence à un autre de ses bouquins : « Le cartographe des Indes boréales » qui conte l’histoire d’un basque parti cartographier les mines d’argent de Scandinavie au XVII° – les ennuis du peuple Sami ne datent pas d’hier.
Après Franck Thilliez qui nous emmenait au nord du Québec (Norferville, mai 2024 éditions Fleuve Noir), dans les mines de la Fosse du Labrador, c’est au tour d’Olivier Truc de nous faire visiter la mine de Kiruna, « la plus grosse mine de fer souterraine au monde et la plus grosse mine d’Europe », tout au nord de la Suède, en Laponie (Sápmi en VO), à quelques heures de quad (ou de motoneige selon la saison) de la Norvège et de la Finlande, au cœur du territoire des éleveurs Sami de rennes.
Une mine autrefois à ciel ouvert qui s’enfonce désormais à plusieurs milliers de mètres sous terre et sur plusieurs centaines de kilomètres de galeries.
Pour le rappel historique, c’est avec cette mine que les suédois alimentaient le Reich nazi en acier pendant la guerre, via le port de Narvik en Norvège notamment.
Pour info, cette région et les Sami sont également mis en images dans la série tv Jour Polaire (Midnight Sun en VO), dont le scénario montre comment les immenses galeries creusées sous terre menacent la stabilité de la ville qui est obligée de « déménager » un peu plus loin.
Le travail à la mine LKAB permet à certains éleveurs de compléter les maigres revenus qu’ils tirent de leurs bêtes mais l’extension des forages (on vient d’y découvrir de ces terres rares indispensables à notre industrie écologique) menace également leurs troupeaux.
« […] C’est le minerai que tu aides à extraire de cette mine qui vous rend tous aveugles et qui tue nos rennes ! Et tu n’as pas encore compris que les terres rares qu’ils ont trouvées, c’est en plein sur nos pâturages ?
[…] On est, comment on dit à Stockholm, une variable d’ajustement, c’est ça ? Il suffit de nous indemniser, et notre silence sera acheté. On devrait être déjà bien content que l’État nous indemnise, pas vrai ? »
La plume d’Olivier Truc s’affirme au fil des ans, elle gagne en puissance et le texte devient moins explicatif, plus elliptique, pour gagner en profondeur. Le volet folklorique ou touristique de ses polars s’est peu à peu effacé au profit d’une analyse sociale plus fouillée du nord de la Scandinavie, là où vivent ces fameux Sami avec leurs rennes, ceux que l’on appelait les Lapons il y a quelques années, ceux qui sont peut-être plus proches des aborigènes australiens que des indiens du Canada.
« […] – Les Sami.
– Ah, on m’avait dit les Lapons, parce que c’est comme les Indiens.
– On dit les Sami, pas les Lapons, et c’est pas comme les Indiens. »
On peut dire qu’Olivier Truc a fait son job pour nous faire partager un peu de la culture et des enjeux du dernier peuple autochtone d’Europe, en nous évoquant le minerai de Kiruna, le centre d’essais automobiles d’Arjeplog, l’histoire de la colonisation suédoise, l’élevage des rennes et les dégâts causés par les prédateurs (loups et gloutons), … tout y est.
Ce qui nous vaut quelques belles pages sur la croyance Sami qui veut que les morts marchent sous terre et que l’ombre des vivants rampe sur le sol pour communiquer avec les ancêtres.
« […] Tu vois ces montagnes ? Nos morts marchent dessous.
Klemet se demanda jusqu’où s’enfonçait son ombre. Il n’oubliait jamais que les âmes des morts vivaient là-dessous. C’est peut-être à ça que servait l’ombre, collée au sol, s’infiltrant à son insu dans les roches et le lichen, trouvant son chemin dans la carapace de la toundra pour saluer les âmes des défunts, en prendre des nouvelles. C’était la part de lui-même qui partait à la rencontre des morts. »
On se prend d’empathie pour le beau personnage de la jeune Sami, Anja Heagga, « véritable bombe à retardement, une enragée », qui entend « dynamiter l’histoire » et sauver sa culture. Elle donnera une belle conclusion à ce drame, sans doute trop optimiste, même si comme l’auteur on aimerait bien y croire.
On sait bien que les loups (une espèce protégée) font parfois des ravages dans les troupeaux, un drame pour les bergers. Les éleveurs Sami et leurs rennes ne font pas exception, d’autant que là-haut le loup n’est pas le seul prédateur : le glouton (le carcajou, alias wolverine en anglais) rode également autour des troupeaux de rennes.
Sur ce thème, l’auteur va même nous surprendre avec une petite fantaisie puisqu’il met en parallèle son histoire de rennes et de « lapons » avec une intrigue secondaire dans les Alpes de Provence autour de bergers et de leurs brebis : le loup sévit partout.
Nous voici aux environs de la Saint-Jean, et après la fête de MidSommar, la « journée la plus alcoolisée de l’année en Suède », les éleveurs Sami regroupent leurs troupeaux pour le marquage des jeunes faons de l’année : autour de Kiruna, ils vont rassembler plus de six mille rennes.
Malgré la fête, les relations sont toujours tendues avec les autorités suédoises, avec l’industrie minière, et même parfois entre éleveurs. Les loups et les gloutons rodent autour des troupeaux.
Et puis c’est le drame : un train géant de la mine LKAB percute un troupeau de plusieurs dizaines de bêtes.
Il y a là Nina et son collègue Klemet de la police des rennes : ils vont mener l’enquête.
Il y a là Joseph, un berger français obsédé par la chasse au loup, qui pourrait être un descendant montagnard du Capitaine Achab.
Et surtout deux jeunes Sami, Aaron et sa sœur Anja, qui luttent pour se faire une place dans le cercle très fermé des éleveurs, le sameby, où les licences sont contingentées et régulées par la loi, la coutume et les liens familiaux dans un écosystème complexe qui réglemente les troupeaux, les pâturages, la chasse et la pêche.
En toute illégalité, Anja exerce parfois ses talents de sniper contre les loups ou les gloutons, à la demande très discrète de certains éleveurs.
Olivier Truc prend tout son temps pour installer soigneusement son décor et le bouquin est construit comme tout bon roman noir : une situation paroxystique (MidSommar et le marquage des rennes, …), des conflits larvés (l’extension de la mine, les rivalités entre éleveurs, le racisme, …), quelques personnages borderline (l’indomptable Anja, Joseph le berger français venu régler ses comptes avec la gente carnivore, …) et quelques incidents bien sûr pour mettre le feu aux poudres.
Et dans les mines, poudre il y a…
Bruno Ménétrier