London Grammar – The Greatest Love : to evolve or not to evolve, that is the question

Lorsqu’on a réalisé un premier album aussi marquant que If You Wait en 2013, qu’on a connu un succès conséquent et rapide, que faire ensuite ? Faut-il évoluer ou pas ? C’est la question que chaque nouvel album pose au groupe, et évidemment à ses fans. Dix ans plus tard, avec The Greatest Love, l’évolution est là, mais sans doute à doses trop homéopathiques…

London Grammar
Photo : Tarek Mawad

En 2013, If You Wait a été l’un des albums qui a revêtu le plus d’importance pour nous. Il nous a tout simplement « aidé à vivre », ce qui est quand même l’un des rôles les plus importants de la musique, non ? Non pas que If You Wait ait été particulièrement exceptionnel : Nick Cave avait de toute manière mis la barre trop haut en termes d’intensité émotionnelle pour le reste des artistes « rock », avec son Push The Sky Away, tandis que les Daft Punk avaient raflé la mise « populaire » grâce à leur Random Access Memories. Mais entre les deux, entre le génie et la frénésie, entre le sublime et la nostalgie, il restait de la place pour un beau disque rassurant, confortable, soyeux comme le premier album de London Grammar, qui semblait recycler certaines intuitions brillantes de Portishead ou The xx, en les rendant plus… accessibles.

The Greatest LoveLe problème est venu avec la suite : des prestations « live » professionnelles mais nous laissant sur notre faim – où il ne se passait vraiment pas grand chose, en fait – et deux albums qui se reposaient largement sur les mêmes principes que If You Wait, comme si le trio de Nottingham avait peur d’égarer la recette du succès en changeant trop de choses. Oh, Hannah Reid, « Dot » Major et Daniel Rothman parlaient d’évolution dans leurs interviews, mais on ne percevait guère que de prudents mouvements de certains curseurs, vers le haut ou vers le bas. Un peu plus d’orchestration et de grandiloquence par ci, un peu plus d’électronique par là, un peu plus d’entrain et de rythme enfin, pour échapper à la neurasthénie « à la Portishead » : ou comment évoluer sans trop évoluer.

Eh bien, aucune surprise avec The Greatest Love : musicalement, le groupe est toujours coincé dans le même dilemme. Une fois encore, ils expliquent qu’ils ont changé, et les fans admirent les micro-différences avec les albums précédents. Et une fois encore, on entend à peu près la même chose pendant 42 minutes. Ce qui n’est pas un reproche aussi grave, cette fois, car les chansons sont bonnes. Peut-être les meilleures proposées par le groupe depuis onze ans.

The Greatest Love commence assez mal, avec un House sans substance et sans grand intérêt, et une atmosphère un peu ordinaire de tube « contemporain ». Mais le morceau a l’avantage d’être une forte déclaration d’intention de la part d’Hannah : on comprend que si les années qui ont passé, l’âge adulte qui est venu, n’ont pas orienté le groupe vers le post-punk ou le garage psyché comme on l’aurait imaginé (on plaisante…), ce ne sont plus réellement les mêmes personnes qui jouent pour nous. Hannah n’est plus l’étudiante de l’époque, c’est une adulte qui marque son territoire, affronte la vie, et écrit désormais des textes bien plus affirmés : « Do you see me? Feel me? Don’t think you do / ‘Cause this is my place, my house, my rules / You’re so welcome in this house that I have built / Where imagination feeds the things you feel »  (Est-ce que tu me vois ? Est-ce que tu me sens ? Ne pense pas que c’est le cas / Parce que c’est ma place, ma maison, mes règles / Tu es le bienvenu dans cette maison que j’ai construite / Où l’imagination nourrit les choses que tu ressens). Reprendre le contrôle sur sa vie, ça s’appelle, et ce n’est évidemment pas facile sous la pression du succès, du public et du business.

Heureusement, on enchaîne avec Fakest Bitch, dépouillé comme aux premières heures et détenteur de la meilleure mélodie du disque. En fait Fakest Bitch, règlement de comptes sombre (cruel et violent, même) rapproche Hannah Reid de la dépression angelena et incurable d’une Lana Del Rey, et, pour nous, c’est un gros compliment. La suite de l’album oscillera entre ces deux extrêmes, la banalité assumée de House et le quasi-génie « dark » de Fakest Bitch, mais en gardant en toutes circonstances une force dans ses paroles qui le distingue de ses prédécesseurs. You and I accélère le rythme, fait grincer les dents en caressant le public R’n’B dans le sens du poil, insiste sur l’emphase, mais déçoit finalement en restant malgré tout un peu trop en demi-teinte. LA est une chanson formellement « standard », bénéficiant d’un juste équilibre entre acoustique et électronique, mais portée par la conviction du chant d’Hannah, qui pose en termes simples, directs, la question banale mais essentielle du meilleur endroit où vivre à un moment donné de son existence : « Now that I’m here in Los Angeles / I’m in the land of the gods / There’s nothing here for me / And if I stay / The pain will only carry on » (Maintenant que je suis ici à Los Angeles / Je suis au pays des dieux / Il n’y a rien ici pour moi / Et si je reste / La douleur ne fera que continuer).

Ordinary Life tombe du côté électro / trip hop (on aurait préféré éviter les bidouillages sur la voix d’Hannah, qui n’en a nul besoin) et offre un trop grand espace instrumental pour son propre bien. London Grammar se ressaisissent avec le trio suivant, Santa Fe, Kind of Man et Rescue, qui osent jouer la carte de l’évidence mélodique (oui, il y a des « oh, oh, oh » ou des « na, na, na » !) : et ça fait du bien, car ça prouve que le trio peut sortir des ambiances éthérées souvent trop évidentes. La plus notable est Kind of Man, charge légère et ironique contre la misogynie et le machisme dans le milieu artistique, qui, en plus, dégagerait presque de la joie : le morceau le plus évident et agréable du disque !

Into Gold est une curiosité, un vieux titre du groupe : une enregistrement datant de 6 ans en arrière, revêtu d’oripeaux plus modernes, mais néanmoins typique du London Grammar des débuts (lent et triste, quoi) : Dot et Daniel lui ont rajouté une envolée finale très électro, qui crée un sentiment d’hétérogénéité que l’on trouvera, selon ses goûts, embarrassante ou excitante. Un titre qui partagera les fans… Ce qui n’est pas le cas de The Greatest Love, magnifique conclusion littéralement « épique » qui nous permet de refermer l’album sur une note haute : la très bonne idée ici est de marier le caractère très intime et personnel de la chanson avec une sorte de grandiloquence de comédie musicale (les musiciens parlent de Pocahontas, le dessin animé de Disney, comme référence !).

Sans rien révolutionner, donc, ce quatrième album de London Grammar offre suffisamment d bons moments pour conforter la réputation et le succès du groupe. On attend quand même leur cinquième, qui sera très certainement un brûlot post-punk ou garage psyché.

Eric Debarnot

London Grammar – Greatest Love
Label : Ministry of Sound Recordings Limited / Metal & Dust / Because Music
Date de sortie : 13 septembre 2024