Dans son nouveau roman, le Croate Jurica Pavičić décrit les conséquences d’un meurtre sordide : l’enquête policière bien sûr mais aussi la dislocation d’une famille dont le quotidien va être bouleversé par cet événement. A ne rater sous aucun prétexte.
Mater Dolorosa, le quatrième roman de Jurica Pavičić traduit aux éditions Agullo, s’appuie sur un schéma narratif, a priori, on ne peut plus traditionnel. Le corps d’une adolescente a été retrouvé dans une usine désaffectée. L’enquête est confiée à un trio de policiers, parmi lesquels Zvone, dont on va suivre pas à pas le travail. Rien de très original donc, mais Pavičić a aussi choisi de s’intéresser à une famille dont la vie va être totalement bouleversée par le meurtre de la jeune fille.
A vingt-cinq ans, Inès vit avec sa mère, Katja, et son frère Mario. Elle travaille à la réception d’un hôtel de Split, tandis que Katja fait des ménages et s’occupe de l’appartement où ils vivent tous les trois depuis la mort du père quelques années plus tôt. Quant à Mario, rien ne semble intéresser ce jeune homme placide et inexpressif. Pourtant, alors que la découverte du cadavre de Viktorija scandalise la population et les médias, un doute va s’installer dans l’esprit de Katja et celui d’Inès : et si Mario avait quelque chose à voir avec cet horrible meurtre ?
A partir de cette idée passionnante, Jurica Pavičić tisse un roman qui va alterner les points de vue. Se faisant, il construit notamment un personnage de flic assez singulier : Zvone, policier consciencieux mais effacé et sans doute un peu terne (ses collègues la comparent à de la gélatine…). Il mène l’enquête avec rigueur mais reste un peu dans l’ombre de Tomaš, son supérieur. En parallèle, Pavičić brosse deux portraits exceptionnels de ses personnages féminins. Inès, jeune femme à l’avenir un peu bouché, va devoir affronter les terribles doutes qui l’assaillent à mesure que la presse dévoile le profil du tueur présumé. Comment faire face à cette idée qui s’installe dans son esprit : son petit frère, qu’elle aime tant, est peut-être un meurtrier. Dès lors toutes ses certitudes s’écroulent et cela intervient au moment même où elle doit affronter ses propres problèmes personnels. Enfin, il y a Katja qui réagit bien différemment. L’amour qu’elle porte à son fils est inconditionnel, ce qui signifie qu’elle est prête à tout pour le protéger. Car une mère qui souffre est capable de tous les sacrifices.
La grande idée au centre du roman de Jurica Pavičić consiste donc à s’intéresser non pas au coupable ni même au suspect, mais à ses proches. L’enquête policière, qui reste passionnante car Pavičić maintient longtemps le doute, se double donc un drame familial poignant et déchirant. On s’attache évidemment à ces personnages que le romancier fait vivre sous nos yeux et qui restent parfaitement crédibles, de la première à la dernière page. On doute avec eux et l’on s’émeut de leurs souffrances.
Mater Dolorosa s’impose donc comme un grand roman noir par sa capacité à exprimer les tourments mais aussi par son évocation d’une société qui ne se porte pas très bien. A travers la ville de Split, ville touristique qui plonge ici dans l’hiver, et de ses habitants, Jurica Pavičić dépeint une Croatie malade et qui porte encore les stigmates de la guerre. Si Svone est un flic intègre, la corruption gangrène quelques-uns de ses collègues. Les usines désaffectées tombent en ruines à quelques kilomètres seulement des hôtels qui accueillent les touristes venus du monde entier. Le poids de la religion écrase encore les plus anciens et les inégalités sont manifestes… Pour autant, le romancier évite les clichés et préfère la nuance : il ne condamne pas, ne porte pas de jugement hâtif. Et le regard qu’il porte sur ses personnages et son pays reste profondément humain.
Mater Dolorosa est une vraie réussite qui confirme que son auteur est l’une des plus belles voix du polar contemporain. A ne rater sous aucun prétexte.
Grégory Seyer