Avec All We Imagine As Light, Payal Kapadia livre un premier long de fiction sous influences pas totalement digérées et se distinguant difficilement d’un type de cinéma trop vu en festival.
Avant de décrocher le Grand Prix cannois d’une cuvée 2024 considérée par bien des festivaliers comme médiocre côté compétition, la cinéaste indienne Payal Kapadia s’était déjà faite remarquer à la Quinzaine avec Toute une nuit sans savoir. Un film monté à partir d’images documentaires filmées lors d’une longue grève anti-Modi d’une école de cinéma à laquelle elle avait participé. Dans lequel avait été ajouté une voix off narrant un lendemain qui déchante : une femme pleurant l’homme qu’elle a aimé, un homme ayant participé à la grève. Mais qui refusa de s’engager avec elle au nom du refus parental, refus motivé par la différence de caste. Applaudi par la critique à sa sortie dans l’hexagone, le film m’avait semblé une tentative godardienne de plus en restant au niveau du théorique.
Ses courts étaient un peu plus convaincants, lorgnant du côté d’Apichatpong Weerasethakul et de ses fantômes pour évoquer la peur des femmes indiennes d’exprimer leurs sentiments et le souvenir de l’homme aimé. Une veine prolongée en partie par All We Imagine As Light, premier long de fiction et premier film indien en compétition sur la Croisette depuis trente ans. Le film se concentre sur trois femmes travaillant dans le même hôpital, trois femmes ayant quitté leur ville natale pour Mumbai : Prabha, Anu et Parvaty. Parti en Allemagne, l’époux de Prabha ne donne plus de nouvelles. Mais elle reçoit un jour un cuiseur à riz de sa part. Anu a un petit ami musulman. Parvaty risque d’être expulsée de son logement.
Dès qu’il est question de blockbuster hollywoodien, il y a les œuvres qui engendrent une formule. Et celles, s’inscrivant dans un formatage qui la répètent. Le cinéma qui fait la pluie et le beau temps des grands festivals n’est pas si différent. La nouveauté artistique du Wong Kar-wai des années 1990 s’est vite transformée en académisme suivi par d’autres auteurs asiatiques. Le film de Kapadia n’est pas totalement dénué de qualités. Mais il ne convainc pas car peinant à s’extraire d’un certain formatage festivalier. On pourrait le décrire comme une toile intéressante lorsqu’on regarde de près ses petites touches mais pas dans sa perspective d’ensemble. Le film s’ouvre par exemple sur un long travelling parcourant une Mumbai aussi crade que cinégénique, le genre d’ouverture mille fois vue dans le cinéma d’auteur contemporain. Ses personnages féminins et ses passages plongeant dans le grouillement de Mumbai sont filmés à coup d’académisme de la caméra à l’épaule. Tout juste peut-on concéder une belle photo bleutée aux antipodes de celles plus vives du cinéma populaire indien filmant la ville.
En revanche, bien que le cinéma asiatique ait déjà intégré depuis 25 ans à sa narration les chats (All about Lily Chou Chou) et les SMS (Confessions de Tetsuya Nakashima), la surimpression des messages instantanés, bien que décorative, a un certain charme. Un léger travelling avant sur Mumbai vue d’une fenêtre va commencer à poser l’esprit fantomatique à la Apichatpong de la seconde moitié. Surtout, d’une manière proche d’un Jia Zhang-ke, des petits détails vont raconter quelque chose d’une Inde entre restes du passé et désir d’embrasser le modernité occidentale. Anu refusant le principe parental du mariage arrangé. Le boyfriend d’Anu pas présentable aux parents à cause de sa religion, la fracture hindous/musulmans s’étant révélée sanglante dès le lendemain de l’indépendance. Anu à qui est demandé de porter une burqa pour accompagner son amoureux dans le quartier musulman. Les différences de langues officielles entre états comme difficulté pour ceux qui veulent travailler dans une autre ville. L’anglais est d’ailleurs la seule langue unissant le peuple indien.
Puis, à la manière d’Apichatpong, Kapadia crée une césure dans la seconde moitié du film. Nos trois femmes partent loin de la ville, espérant mettre à distance le tumulte urbain, mettre de côté leur pudeur et trouver des pistes pour se projeter dans l’avenir. Une seconde moitié lorgnant en vain vers la force sensorielle et la part de fantastique suggéré des meilleurs films du Thaïlandais.
Le problème plus général du film est son incapacité à incarner émotionnellement le cheminement de ses personnages féminins vers « tout ce qu’elles imaginent comme étant la lumière » . Une émotion (désabusée) que l’écriture scénaristique du représentant de l’Inde à Un Certain Regard cette année finissait de son côté par faire émerger. Kapadia a quant à elle encore le temps de se trouver en tant que cinéaste.
Ordell Robbie