[Netflix] « Les silences de la forêt » : meurtres et conséquences…

La dernière série coréenne sur Netflix est un projet passionnant, mais malheureusement inabouti par rapport aux promesses de ses premiers épisodes : il s’agit dans Les silences de la forêt d’explorer les conséquences d’actes criminels sur l’environnement dans lesquels ils ont été perpétrés. Il est dommage que les nécessités du thriller spectaculaire – retenir le téléspectateur devant son écran – troublent la clarté du propos.

Les silences de la forêt
Copyright Netflix

Le moins que l’on puisse dire à propos des Silences de la forêt (The Frog dans son titre international, et « Dans une forêt sans personne autour » pour la traduction littérale de son titre coréen), tout au moins après avoir visionné ses trois premiers épisodes, c’est que l’on à affaire à une mini-série singulière. Pas si coréenne que ça – et certains ont pointé, non sans exagération, « l’internationalisation » du cinéma coréen, qui le priverait de ses caractéristiques les plus intéressantes -, presque japonaise, en fait, dans son souci de la juste durée des scènes (attention à ceux qui s’impatientent facilement, ils souffriront sans doute devant leur écran !), et surtout dans la compassion qu’elle témoigne vis à vis de ses personnages.

Les silences de la forêt afficheMais ce que le début des Silences de la forêt propose de plus original, c’est de ne pas se focaliser sur les atrocités perpétrées par les deux « monstres » au centre de la série, mais plutôt de prendre le temps de regarder les conséquences de leurs actes sur les survivants – familles, amis, collègues… -, voire sur l’environnement. Tout en mettant en place une narration pour le moins énigmatique, fascinante pour ceux qui aiment faire fonctionner leurs méninges : nous voilà témoins de deux histoires, dont nous bataillerons longtemps pour comprendre les liens les unissant, la manière dont elles composent, mises en perspective, une troisième histoire, différente, ou, plutôt, « plus riche ».

Le premier récit est centré sur un serial killer particulièrement barbare, que le propriétaire d’un gîte rural, au bord d’un lac, invite à se réfugier chez lui pour échapper à une pluie diluvienne : les crimes qu’il y commettra vont précipiter le propriétaire et sa famille dans une catastrophe intégrale, entre effondrement financier de leur business et sentiment destructeur de culpabilité. Le second récit, dont on comprend assez vite qu’il se déroule bien des années plus tard, se passe dans un autre gîte, isolé entre une forêt et des champs de maïs : une séduisante jeune femme débarque, accompagnée d’un enfant, et disparaîtra ensuite en laissant derrière elle des traces sanglantes… avant de reparaître un an plus tard, et de menacer le propriétaire – devenu complice de son crime pour ne pas l’avoir dénoncé – afin de s’emparer du gîte.

L’une des caractéristiques les plus séduisantes des Silences de la forêt est la qualité de sa mise en scène, signée par le showrunner, Mo-Wan il : élégante, précise, portant une attention constante aux états d’âme de ses personnages, elle peut souffrir par moments d’un excès de clinquant, mais reste l’une des forces de la série, surtout quand, à mi-parcours, celle-ci se met à tourner en rond. Car Les silences de la forêt a un problème, qui, malheureusement, contredit la promesse d’intelligence et de sensibilité de sa première partie : le personnage « démoniaque » de Yoo Seong-ah (Go Min-si, très belle, mais jamais totalement convaincante) devient le principal moteur du récit, justifie une multiplication de scènes de violence souvent peu logiques, et pousse la série vers le thriller horrifique bas de gamme. Face à elle, Kim Yun-Seok (pourtant inoubliable dans les deux immenses films de Na Hong-jin, The Chaser et The Murderer), peine à composer un antagoniste paralysé par sa peur et par son incapacité naturelle à exprimer un quelconque sentiment…

Très franchement, on s’ennuie, tout au moins jusqu’à ce que le scénario, il est vrai des plus malins, nous offre – enfin, au sixième épisode – la rencontre entre les deux fils narratifs, pour aller vers une conclusion douce-amère, pessimiste même, qui surprendra ceux qui n’ont pas assez prêté attention aux détails de cette histoire complexe et déstabilisante.

Bref, Les silences de la forêt aurait pu être un nouveau chef d’œuvre de la télévision coréenne, mais n’est finalement qu’une belle occasion manquée. Comme c’est souvent le cas, un long-métrage de deux heures trente, avec une construction plus maîtrisée du récit, aurait certainement mieux fait honneur à ce sujet très original.

Eric Debarnot

Les silences de la forêt (The Frog)
Mini-série TV sud-coréenne de Mo-Wan il
Avec : Kim Yun-seok, Yoon Kye-sang, Go Min-si…
Genre : drame, thriller
8 épisodes de 55mins mis en ligne (Netflix) le 23 août 2024