Pour son premier roman graphique, un conte grave et profond sur la misère et la foi, Luckas Iohanathan surprend et laisse ses lecteurs pantois.
Cristovao et sa femme, qui restera anonyme, vivent avec Rosa, leur fille lourdement handicapée, sur une petite ferme du nord-est du Brésil. Il n’a pas plu depuis des mois, bientôt un an. Calcinée, la terre meurt. Foudroyés, les oiseaux tombent du ciel comme des pierres. Le bétail agonise et les paysans seront bientôt sans ressources. Le mot famine n’est pas prononcé, mais l’angoisse monte. L’administration locale se révèle inefficace, hautaine et peut-être corrompue. S’il n’y a rien à attendre des hommes, il leur reste la foi. Le couple prie avec ferveur. Dieu ne saurait les abandonner, les extraits de la Bible qu’ils répètent inlassablement sont formels.
Avec son trait fin et épuré, ses aplats de couleurs orangés, le dessin de Luckas Iohanathan dérange. Les décors réduits au minimum, les étranges marques sombres sur le nez ou la tristesse des visages nous alertent : ici, la vie, voire la survie, est rude et la réalité fragile. Quand la vie se fait trop dure, la folie nous guette, à moins que ce ne soit le monde lui-même qui, soudain, ait basculé dans le fantastique.
Survient un groupe de pèlerins exaltés, guidés par le Rêveur. Ce dernier prétend que Dieu lui parle par ses rêves. Or, son Dieu exige un nouveau sacrifice pour sauver le monde, celui d’une âme parfaitement pure. Désespéré, Cristovao est séduit et se laisse envouter. La femme écoute, la femme hésite et résiste avant de se révolter.
Luckas Iohanathan sait prendre son temps. Il montre et explique peu. Il intrigue et laisse au lecteur la liberté d’interpréter les signes à sa guise. Ses personnages parlent naturellement peu. Ils souffrent en silence. Accablés, ils s’immobilisent. La vie semble s’arrêter. Le lecteur se retrouve, lui aussi, piégé. Seule la femme regimbe. Comme dans les romans de Gabriel Marcia Marquez, réalité, poésie et fantastique se confondent. Bien malin qui saura les distinguer dans ce conte amer et doux, qui mêle avec bonheur dénonciation politique de la misère et inquiétude religieuse. Magnifique.
Stéphane de Boysson