« Les Ames féroces », de Marie Vingtras : un récit sombre et maitrisé (Prix du Roman FNAC 2024)

Après le remarqué BlizzardMarie Vingtras se confronte à nouveau à ses influences américaines. Même s’il persiste une petite musique de déjà lu avec des figures, des motifs et des thèmes déjà rencontrés, jamais son américanité ne sonne factice grâce à un vrai talent de conteuse et une parfaite utilisation de son casting.

Marie-Vingtras-2024
crédit photo Patrice Normand

Mercy, petite ville rurale des Etats-Unis, deux clubs de bingo, une association de vétérans, un shérif désoeuvré tant la ville est calme. 3974 habitants un soir, 3973 le lendemain matin lorsque le corps de Leo, 17 ans, est retrouvé dans le rivière, près du pont, la jeune fille a été assassinée.

« Elle était là hier, elle sera là demain, se disent-ils, parce qu’ici rien ne change, c’est ce qui fait tout le charme de cette ville. Pourtant personne ne voit à quel point cette fille frémit. Elle n’est en réalité qu’un long frémissement, un corps qui tressaille, une douleur lancinante dans la poitrine et cette questions qu’elle voudrait crier à tous ceux qui l’approchent : savez-vous seulement qui je suis ? »

Les âmes féroces Marie Vingtras

Après le réussi Blizzard, Marie Vingtras se confronte à nouveau à ses influences américaines (j’ai particulièrement pensé à Russell Banks ici ). Même s’il persiste une petite musique de déjà lu avec des figures, des motifs et des thèmes déjà rencontrés, déjà lus et vus, jamais son américanité ne sonne factice grâce à un vrai talent de conteuse et une parfaite utilisation de son casting.

Les personnages sont nombreux et tous admirablement composés, au-delà des stéréotypes qu’ils peuvent représenter au départ : la shérif lesbienne qui souffre du complexe de l’imposteur, folle amoureuse d’une compagne brisée par les hommes; le père solo de la jeune fille morte, écrasé par le déclassement depuis la perte de son garage ; la meilleure amie archi populaire et ses parents notables obsédés par le rang qu’ils occupent à Mercy ; mais aussi un professeur charismatique au passé douloureux, des adjoints au shérif antithétiques, un doux et sensible, l’autre à la virilité arrogante, entre autres. En quelques lignes subtiles et précises de descriptions de leur apparence et de leurs actes, ils prennent vie et on croit en eux sans réserve.

Parmi ses personnages, Marie Vingtras en a choisi quatre pour leur donner la parole en tant que narrateur, un par saison. Quatre monologues, autant d’exercices intimes dans lesquels aucun véritable mensonge n’est proféré. Parfois leur discours se délite, peine à formuler l’essentiel, ressasse : c’est la vérité nue de chacun qui s’exprime, celle qui échappe aux autres, la plus dérobée aux regards.

Ces monologues successifs se conjuguent brillamment. Comme des morceaux de mosaïque, ils finissent par se rassembler pour faire sens. L’étau narratif se resserre, fait tomber les masques, les secrets, les frustrations, pour dire l’émiettement d’existences qui ne peuvent être comprises qu’en additionnant des points de vue parcellaires.

« On ne se complique pas la vie dans une si petite ville, à peine plus grande qu’une maison de poupées, peuplée de minuscules figurines immobiles, les bras rivés le long du corps. On ne se complique pas à essayer de percevoir les ombres, les demi-teintes. Tout est forcément dans la lumière alors que même le jour le plus cru comporte sa part d’obscurité, une part empruntée à la nuit. »

Marie Vingtras propose une étude psychologique très riche, grattant derrière les apparences d’un petite ville, microcosme oppressant où tout le monde se connaît et donc où « le moindre truc de travers doit être enterré bien profondément pour ne pas menacer le groupe. ». Tout en abordant de nombreux thèmes (rapports homme-femme et parents-enfants notamment), c’est un très beau portrait d’adolescente, celui de la jeune fille assassinée, qui se compose sous nos yeux, et fait exploser les responsabilités de chacun bien au-delà de ce qu’on avait pu imaginer.

Le suspense est maintenu jusqu’à la fin. La férocité annoncée dans le titre est bien présente dans ce récit incontestablement très sombre et parfaitement maitrisé.

Marie Kirzy

Les âmes féroces,
Roman de Marie Vingtras
Editions : L’Olivier
272 pages – 21,50 €
Date de publication : 19 août 2024

Avec Les Ames féroces, Marie Vingtras remporte le Prix du Roman FNAC 2024

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