Petit Bain était littéralement pris d’assaut par une jeunesse turbulente, avide de faire la fête sur les beats de Fat Dog, improbable groupe de technopunk klezmer. Mais cette belle soirée allait aussi confirmer le génie (eh oui!) de l’étonnant ELLiS·D !
Un vrai bel événement est annoncé ce soir à Petit Bain, en ce samedi glacial qui donne bien envie de se serrer dans une salle de concert pleine à ras bord pour écouter de la musique torride : l’un des groupes anglais à la réputation scénique la plus « hot » de ces derniers mois, Fat Dog, offre sa folie à Paris, une nouvelle fois (car ils ont déjà gratifié la capitale de plusieurs sets remarqués, en mai 2023 pour la soirée Verte est la Nuit, et en 2024 au Supersonic et aux Inrocks Festival !) ! Mais il y a – surtout, oserons-nous dire ! – en ouverture de la soirée, l’un des artistes les plus prometteurs en ce moment, ELLiS·D, que tous ceux qui ont eu la chance de le voir sur scène considèrent comme un futur très grand.
20h30 : En dépit du froid humide qui a rendu la longue attente pénible sur le Quai de la Gare, toute la soirée a été retardée de 30 minutes, mais notre frustration disparaît immédiatement quand ELLiS·D apparaît, très grand échalas filiforme au look étonnant. Il est accompagné par un groupe redoutable, en particulier grâce à un guitariste incandescent, au jeu très sixties (bel usage de la wah wah – enfin, on ne sait pas si c’en était, mais ça en paraissait), et dès l’introduction fracassée, éparpillée façon puzzle, on comprend le buzz : cette voix évoquant un peu celle de David Byrne, cette émotion à fleur de peau qui se dégage de lui, l’ambition affolante de sa musique, à laquelle on est bien en peine de trouver des influences… oui, voilà bien la marque d’un vrai artiste.
Bon, la musique d’ELLiS·D n’est pas la plus abordable qui soit, d’autant que, ce soir, la set list ne contiendra qu’un seul titre du premier album (Hullo, Reality!, paru en octobre 2023) : Degenerate Effeminate ! Pour le reste, on navigue en terra incognita, et c’est ma foi très excitant. Bien entendu, l’approche de ce brightonien rejoint celle de la majorité des nouveaux groupes anglais dignes d’intérêt : abandonner les vieilles lunes ternies du « post-punk » pour aller chercher un renouveau ailleurs. Mais ici, ce n’est pas le jazz ou le free jazz qui nourrit la musique, comme chez nombre d’autres aventuriers, plutôt un medley peu reconnaissable de psychédélisme sixties, de funk, de soul blanche, le tout sublimé par cette voix étonnante. Et puis, bien entendu, il y aura ces poussées occasionnelles de fièvre, comme sur Drifting, le final torride du set de 30 minutes, qui rappelle aussi qu’ELLiS·D n’est pas hostile à un peu de frénésie. Bref, un régal !
21h30 : Petit Bain est plein à craquer pour accueillir les nouveaux chouchous déjantés de notre belle jeunesse festive de 2024 : Fat Dog. Les retours du concert donné deux jours plus tôt à Rouen ont été mitigés, nous essayons donc de gérer nos propres attentes pour ne pas être déçus. Nous ne le serons pas, car Fat Dog, même si l’on peut trouver leur musique un tantinet simpliste, tapent dur, et bénéficient en plus d’un public exemplaire : dès le premier morceau, le plancher de Petit Bain oscille comme jamais nous n’en avons été témoins, un naufrage semble même possible !
Sur scène, Joe Love concentre évidemment l’attention, avec son look improbable de moujik égaré sur un dance floor londonien (il ne quittera d’ailleurs quasiment pas sa chapka !). A sa droite, le duo constitué par Morgan Wallace, la jeune saxophoniste / claviériste, d’abord assez dans la retenue mais qui participera ensuite joyeusement au happening général, et Chris Hugues, aux synthés et occasionnellement à la guitare, attire immédiatement l’attention : dans la musique de Fat Dog, ce sont avant tout les sons électroniques et les interventions copieuses du saxo qui génèrent tour à tour la transe et la frénésie ! A la basse, une nouvelle venue, Jacqui Wheeler, et à la batterie… oui, c’est ELLiS·D lui-même qui donne un coup de main sur la tournée, remplaçant le fameux batteur à la tête de chien : on n’y perdra pas au change, ELLiS·D est un batteur impressionnant, qui propulsera régulièrement les morceaux dans la folie espérée.
Même si King of the Slugs, fabuleux moment de joie générale, puisque la musique klezmer y rencontre l’électro punk façon Prodigy, sera inévitablement le grand moment de la soirée, il n’y aura pas de baisse de régime durant les courtes 45 minutes (rappel compris !) du set de Fat Dog. Joe Love descend dans la foule – largement féminine d’ailleurs – qui est littéralement en folie, tandis que sur scène Morgan et Chris exécutent des pas de danse absurdes (c’est marrant, j’ai pensé à Ron Mael à ce moment-là !), avant que Chris ne s’évertue à faire des pompes avec, sur son dos, d’abord Joe (impossible !), puis Morgan (difficile quand même…). Tout le monde s’amuse sur les beats technopunks, et, indiscutablement, même si la musique proposée par Fat Dog a surtout le mérite de l’originalité, voici un groupe qui sait faire plaisir à son public ! Woof ! Woof !
On quitte donc Petit Bain tôt ce soir, à 22h15, mais impossible de nier qu’on a passé une excellente soirée. Une soirée revigorante, parce que, au-delà du plaisir pris, elle nous conforte dans notre foi qu’en ce moment, il y a un fort mouvement créatif dans le Rock, en Grande-Bretagne comme un peu partout sur la planète…
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil