Avec un huitième album très réussi, qui retrouve l’énergie et la classe mélodique de leurs débuts, Maxïmo Park continuent à perpétuer la tradition british d’un rock énergique, intelligent – voire intellectuel – et engagé.
Peu de gens se souviennent encore que Maxïmo Park ont été un grand groupe au début des années 2000, conjuguant des prestations live spectaculaires avec une approche politique et « intellectuelle » de haut niveau. Encore moins de gens savent que le groupe existe toujours et publie même d’excellents disques, comme leur Nature Always Wins en 2021. Stream of Life, leur nouvel album, le huitième, changera-t-il la donne, alors que Paul Smith l’a construit sur des thèmes en partie inspirés par l’écrivaine-poétesse brésilienne, Clarisse Spector ? Il questionne ni plus ni moins que « le flux intérieur dans chaque individu, son courant de vie »… Mais rien de prétentieux là-dedans : au contraire, c’est pour Paul Smith et ses acolytes une raison supplémentaire d’écouter leur instinct, de ne pas le brider, et donc de jouer le Rock le plus naturel, le plus organique possible.
Dès la paire de titres qui ouvrent Stream of Life, il est frappant de voir combien le groupe reste à la fois énergique et mélodiquement inspiré. Pertinent et fidèle à ses racines brit pop du début du XXIème siècle. Your Own Worst Enemy aurait pu figurer sans aucun problème sur l’un ou l’autre des deux premiers disques du groupe, A Certain Trigger (2005) et Our Earthly Pleasures (2007). Mais, au delà de la mélodie chaleureuse – une caractéristique indiscutable des grands titres de Maxïmo Park -, on retrouve avec plaisir le verbe haut et riche de Paul Smith, un vrai parolier, et pas seulement un amateur jouant avec des rimes faciles : « I can’t believe your double meanings / I didn’t think you had those leanings / I must’ve been a bitter disappointment to you / Here comes that horrible feeling / You’re your own worst enemy » (Je n’arrive pas à croire tes sous-entendus / Je ne pensais pas que tu avais ces penchants / J’ai dû être une amère déception pour toi / Voici ce sentiment horrible / Que tu es ton pire ennemi). La presse anglaise a parfois critiqué le goût de Paul Smith pour les mots, pour les concepts subtils, pour l’exploration fine des mécanismes de l’esprit et du comportement. Trop « verbeux », trop « intello » pour le public britannique, drogué à la bêtise des frères Gallagher, Paul Smith aurait dû être reconnu dans notre pays où on aime (on aimait ?) les « écrivains rock ». Dans la foulée de cette introduction impeccable, Favourite Songs est la chanson la plus excitante, la plus brillante du disque, celle qui fait regretter que Maxïmo Park ne l’ait pas écrite en 2005, au moment où tous les regards étaient braqués sur le groupe, et où elle aurait pu faire la différence, avec ses guitares énervées, sa mélodie immédiatement mémorisable, et son lyrisme indiscutable mais élégant.
Le reste de l’album n’est sans doute pas tout à fait au même niveau, mais est rempli de morceaux pétulants, sans réelle baisse d’énergie ni d’inspiration. Dormant Til’ Explosion introduit Vanessa Briscoe Hay – la chanteuse de Pylon, et figure de la scène d’Athens, Géorgie, où le disque a été enregistré – en duo avec Paul : ce dialogue anglo-américain (avec le charme des accents terriblement différents) confère une belle originalité à ce titre explosif. The End Can Be As Good As The Start est une chanson accrocheuse, bénéficiant de paroles astucieuses, et drôles, sur la relation amoureuse : « In the gallery, you said, « Marry me? » / « Forget the patriarchy » / And I said, « Hey, it’s not romantic » / « Except for until death do us part » / « It’s just pragmatic » (Dans la galerie, tu as dit : « Tu veux m’épouser ? » / « Oublie le patriarcat » / Et j’ai dit : « Hé, ce n’est pas romantique » / « Sauf jusqu’à ce que la mort nous sépare » / « C’est juste pragmatique »). C’est aussi un titre qui semble fait pour la scène.
Armchair View est une chanson plus calme, la seule de l’album, et la sérénité de sa mélodie et de son chant la rendent précieuse, rappelant que Paul Smith peut être plus versatile que son goût affirmé pour les morceaux énergiques le laisse transparaître. Quiz Show Clue, le dernier single, est un redémarrage en douceur après ce beau moment d’introspection, mais aborde finement la question – inhabituelle – de la résignation devant la banalité de son existence et de son propre manque de talent : « I took up painting in the hope of getting rich / There’s been a hitch / I found no value in the sum of all my art / But I won’t lose heart / I thought by reading I would then improve my lot / But no, what rot » (J’ai commencé à peindre dans l’espoir de devenir riche / Il y a eu un problème / Je n’ai trouvé aucune valeur à la somme de tout mon art / Mais je ne perdrai pas courage / Je pensais qu’en lisant j’améliorerais alors mon sort / Mais non, quelle pourriture !)
« When you get the thing you want / but it’s not the thing you need / you disrupt the stream of life / and restlessness impedes » (Lorsque vous obtenez ce que vous voulez / mais que ce n’est pas ce dont vous avez besoin / vous perturbez le cours de la vie / et l’agitation entrave) : Stream of Life – la chanson – est donc directement inspirée d’un texte de Clarisse Spector, et propose une réflexion sur les raisons qui nous poussent à faire ou ne pas faire certaines choses. Une question qui finalement revient régulièrement dans l’album, et explique son choix comme titre général. Ah ! Et la mélodie est absolument délicieuse ! Doppelgänger Eyes retrouve une certaine extraversion qui faisait défaut aux deux titres précédents, mais ne convainc pas autant que I Knew That You’d Say That, bien plus énergique, qui suit. Mais c’est surtout le superbe The Path I Chose qui illumine la seconde face, et qui , et qui illustre parfaitement la magie intacte du groupe après vingt ans d’activité.
La conclusion, No Such Thing As A Society (un titre reprenant un phrase provocatrice, et pour le moins répugnante, de Margaret Thatcher qui justifiait ainsi, en 1987, la suppression des systèmes d’assistance aux plus démunis), rappelle, à la fin d’un disque plutôt centré sur l’individu, que Maxïmo Park n’ont pas cessé pour autant d’être un groupe politique, concerné par l’état de la société. Et que pour nous offrir des chansons entraînantes, ils n’en restent pas moins combattifs.
Une nouvelle réussite de la part d’un groupe qui, s’il a probablement définitivement échoué à attendre les sommets de la popularité qu’il méritait, compte toujours, en 2024.
Eric Debarnot
Maxïmo Park – Stream of Life
Label : Lower Third / [PIAS]
Date de sortie : 27 septembre 2024