« Vivre, mourir, renaître » : l’amour et le SIDA dans les années 90

Gaël Morel imagine une réinvention des rapports amoureux dans une histoire qui témoigne de  la réalité tragique des premières années du SIDA et de la façon dont elle a changé notre rapport au monde avant la découverte de la trithérapie.

Vivre, mourir, renaître : Photo Théo Christine, Victor Belmondo
Copyright ARP

Avant de se lancer dans cette œuvre de fiction qu’est Vivre, mourir, renaître, Gaël Morel avait le projet d’un documentaire consacré aux premiers malades du SIDA, ceux qui, alors qu’ils ne pouvaient initialement compter pour survivre que sur le faible secours de l’AZT, se voyaient offrir une renaissance inespérée grâce à la trithérapie. Son film porte la trace de ce projet en ce sens qu’il se clôt sur cette interrogation : que faire de ce temps qui s’ouvre désormais devant soi et dont on croyait ne jamais pouvoir jouir ? C’est là pour moi, l’aspect le plus intéressant d’une histoire dont le titre résume le cheminement de deux de ses personnages. Vivre, mourir, renaître, en effet, voit se côtoyer le pire – clichés relevant d’un parti pris mélodramatique enrobés dans une musique envahissante et lénifiante – et le meilleur – une belle intensité due essentiellement à la grâce de ses interprètes qui, dans un ensemble inégalement convaincant, nous offrent quelques scènes très réussies.

Vivre, mourir, renaître est avant tout une histoire d’amour. Une histoire atypique, celle d’un trio qui n’est pas une triade, et qui met en jeu des jeunes gens fort différents tant par leur physique et leur origine sociale que par leur caractère. 1990 : Sammy (Théo Christine) un conducteur de métro aux racines martiniquaises, est en couple depuis le lycée avec la blonde Emma (Lou Lampros), sage-femme et mère de leur petit garçon. Bisexuel, il a aussi des relations avec des hommes de passage. Sa rencontre avec son élégant voisin Cyril, un photographe reconnu (Victor Belmondo) marquera le début d’une liaison passionnée qui, rapidement, s’inscrira dans une histoire à trois, harmonieuse grâce à l’intelligence et la générosité d’Emma. Une réinvention des rapports amoureux dans le souffle grisant de liberté dont sont porteuses ces incandescentes années 90 : images de soirées festives – avec une apparition d’Amanda Lear en reine de la nuit – drogue, attirance des corps, sexe sans culpabilité… mais non sans danger. Depuis bientôt dix ans plane la menace du SIDA, longtemps appelé « cancer gay » mais pour Cyril, séropositif, l’insouciance n’est pas de mise : les préservatifs font obligatoirement partie de la fête, ce qui nous vaudra cette course effrénée au son de Modern Love, un clin d’oeil « à contre -courant » à Leos Carax et à son Mauvais sang.

Introduit assez vite dans le film, le spectre du VIH va devenir une réalité, même pour ceux qui ne l’avaient jamais envisagé. Que va-t-il changer dans les rapports amoureux, dans le lien qui unit les trois jeunes gens, dans le projet familial de Sammy et Emma ? Moins que le quotidien d’un malade du SIDA – comme dans 120 battements par minute par exemple – c’est l’amour, le désir de vivre malgré tout, de profiter du temps qui reste, qui irradient à l’écran. Les jours, les semaines ou les mois d’agonie ne sont pas montrés, même si sous le soleil éblouissant d’une Italie de carte postale, la menace de la mort s’est invitée elle aussi, et très concrètement : une manière de dire qu’après les renoncements les plus déchirants, c’est la vie qui importe et l’avenir, aussi, d’un petit garçon. D’ailleurs, quelques années plus tard, la trithérapie a changé la donne : de maladie mortelle à brève échéance, le SIDA est devenu une maladie chronique, maîtrisable… Désormais, c’est sur les difficultés et les doutes d’une femme qui peine à trouver sa place de mère, sur les liens tendres unissant Cyril et un enfant qui n’est pas le sien, sur les tourments d’un artiste que l’inspiration a déserté, que le film concentre son intérêt.

Vivre, mourir, renaître met notre rapport au temps au centre de sa narration, et ce sur une dizaine d’années : le temps qui brutalement se rétrécit avec l’annonce de la maladie, l’urgence qui en découle, celle de s’aimer. Celle aussi de créer quand on est, comme Cyril, un artiste soucieux de réaliser des oeuvres qui lui survivront, et, de plus, un photographe, celui qui, en figeant le moment présent, fait la nique à la mort. Comment « renaître » face à l’annonce vertigineuse de la vie qui repart, des nouveaux horizons qui s’ouvrent là où on ne voyait plus qu’une échéance fatale ? Ces sujets, Gaël Morel les traite sans beaucoup d’ inventivité mais avec sensibilité et délicatesse, en s’appuyant sur le talent de ses trois interprètes principaux (une mention particulière à Lou Lampros). S’il ne renouvelle pas le genre du « film sur le SIDA », s’il se complait dans un parti pris mélodramatique que souligne la musique sirupeuse de Georges Delerue, Vivre, mourir, renaître a le mérite de rappeler aux jeunes générations à la fois la réalité tragique des premières années de la maladie et la façon dont elle a pu changer notre rapport au monde.

Anne Randon

Vivre, mourir, renaître
Film français de Gaël Morel
Avec Lou Lampros, Victor Belmondo, Théo Christine
Genre : drame
Durée : 1h 49.
Sortie le 25 septembre 2024

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.