On pouvait craindre une autre exploitation éhontée de la part de Netflix de la veine « serial killers », et on se retrouve, heureusement, devant une mini-série brillante qui ose dire que la vérité n’est pas toujours atteignable, et que le monde est tout sauf noir et blanc. Une belle réussite.
Il y a deux ans, nous nous extasions, comme à peu près tout le monde, sur la réussite de Dahmer, grande mini-série qui prouvait une fois de plus que Ryan Murphy était définitivement l’un des grands de la série TV moderne, capable de transmuter le plomb Netflix en or fin. Devant le succès international de Dahmer, la plateforme, fidèle à son approche commerciale, transformait ce one off en premier épisode d’une série qui traiterait des crimes les plus frappants de la riche histoire états-unienne en la matière. On pouvait craindre le pire, et on n’espérait donc pas grand chose de cette nouvelle mini-série, consacrée à un fait divers ignoré de ce côté de l’Atlantique, l’assassinat d’un riche couple de Beverley Hills, les Menendez, par leurs deux enfants, Lyle et Erik. Une affaire qui passionna les Etats-Unis durant les années 90, avant d’être effacée du jour au lendemain de la une des journaux par le procès de OJ Simpson (d’ailleurs lui aussi remarquablement traité en série par Ryan Murphy)…
… Et il nous faut admettre, encore une fois bluffés, que Ryan Murphy sait comment faire pour que son travail échappe à tous les poncifs prévisibles, pour enrichir un cahier des charges peu excitant, et transformer un projet douteux en un nouveau grand moment de la série TV moderne. Son idée est pourtant simple : puisque la vérité du crime atroce commis par Lyle et Erik Menendez est toujours ignorée – et le restera sans doute à jamais -, il suffit de raconter ici, alternativement mais avec le maximum de conviction à chaque fois, les deux versions de cette histoire, et mettre ainsi le téléspectateur devant le même choix que le jury de l’époque. Que croire : la version des garçons, une exécution – relevant de l’auto-défense – de leurs bourreaux qui avaient abusé d’eux depuis leur plus tendre enfance ? Ou celle de « l’attorney general » soutenant qu’il s’agit d’un meurtre crapuleux, exécuté par deux « monstres » sans cœur, deux psychopathes souhaitant s’approprier l’énorme fortune de leurs parents ?
Ce qui est passionnant, c’est que les preuves existent pour crédibiliser l’un ou l’autre de ces deux scénarios, et qu’il a été possible de produire des témoignages d’amis, de familiers de la maison Menendez, soutenant sans ambigüité aucune chaque hypothèse. Troublant ? Pour le moins. Gageons que les débats feront rage au sein des familles de téléspectateurs entre les défenseurs de chacun des points de vue…
Mais là où Monstres : L’histoire de Lyle et Erik Menendez monte clairement d’un niveau en termes d’intérêt, c’est que la mini-série fait finalement la démonstration – et quelque part, « le procès » – de la facilité avec laquelle il est possible (à condition d’en avoir le talent, bien entendu) de convaincre les gens de la véracité d’une histoire en mettant en scène celle-ci pour jouer sur les émotions, sur les idéologies et les croyances de chacun. Comme les membres du premier procès des Menendez ont pleuré devant le récit des horreurs perpétrées par le père – homme d’affaires brillant et brutal, échappé de l’enfer cubain, prêt à tout pour réussir aux USA… et surtout pour que ses fils réussissent à leur tour (Javier Bardem, absolument génial comme toujours) – sur Erik et Lyle. Et comme le jury du second a été indigné par le machiavélisme froid de ces deux criminels sans foi ni loi, ayant monté un énorme mensonge, avec la complicité de leur avocate, à la fois complice et victime de leurs affabulations…
… Et comme nous, téléspectateurs naïfs, nous laissons embarquer par la maestria d’une série qui nous fait avaler tour à tour des couleuvres pourtant « incompatibles entre elles », au point de ne plus savoir finalement quoi penser. Et à ce grand jeu de la manipulation du public (quelle tristesse que cette justice US devenue un spectacle démagogique !), le cinquième épisode de la mini-série, The Hurt Man, long monologue d’Erik (Nicholas Alexander Chavez, immense acteur pendant ces trente-cinq minutes parfaites) filmé en plan fixe, la caméra étant seulement animée d’un très lent mouvement vers l’avant, est un pur chef d’œuvre.
Un épisode prodigieux, une démonstration parfaite du pouvoir manipulateur du « récit » : après ça, la vérité, insaisissable de toute manière, importe-t-elle même ?
Eric Debarnot
En effet, cet épisode 5 est incroyablement saisissant. Je n’ai pas repéré les coupes, y’en a forcément, c’est pas possible autrement. Et c’est un grand moment.