Après Seules à Berlin et Un général, des généraux, nous savions que Nicolas Juncker aimait l’histoire. Glénat réédite, dans une version colorisée par Brice Follet, Malet, un album paru, en noir et blanc, en 2005.
Ancien aristocrate ayant pris le parti de la révolution, Claude François de Malet est un homme complexe et aigri. Le général a été chassé en 1805, de son dernier poste de gouverneur de Rome pour propagande républicaine et prévarication et placé en retraite. Depuis, il complote. Ses deux premières conspirations ont échoué, il est emprisonné, puis interné dans une « maison de santé » : on le croit fou. Il s’y acoquine avec l’abbé Laffon, un ultra royaliste.
Réunis par leur haine commune de Napoléon Ier, le républicain et le monarchiste ourdissent un ambitieux coup d’État. L’Empereur est en Russie, les nouvelles ne sont pas bonnes. Et s’il était tué d’une balle dans la tête… Ils comptent sur l’obéissance aveugle des soldats pour arrêter ministres et généraux… Malet fait rédiger un faux sénatus-consulte proclamant la République. Il s’évade, endosse une tenue chamarrée et se saisit du commandement d’une cohorte de la garde nationale. Il fait délivrer trois généraux emprisonnés et, de sa plus belle voix de commandement, les envoie s’emparer de Paris. Or, le coup faillit réussir !
L’histoire est folle, mais authentique. Juncker découpe habilement sa tragi-comédie en cinq actes. Même si souvent on sourit devant la crédulité des militaires, de tous rangs, ou la bêtise de ces comparses, le récit finit mal. Malet et ses complices finiront hâtivement fusillés par des ministres et des généraux inquiets de la réaction de l’Empereur.
Si l’histoire est bien menée, l’album se démarque par le trait acéré de Juncker qui, dans une production de plus en plus consensuelle et standardisée, ose de véritables trognes. Les gueules de ses personnages expriment magnifiquement la peur et la violence, la couardise et la débauche et, pour le fascinant Malet, une forme ultime de folie contagieuse qui manqua, un soir d’octobre 1813 de vaincre, sans combat, le plus puissant despote de son temps.
Quand le président du tribunal s’enquit du nom de ses complice, il répondit crânement : « La France toute entière et vous-même Monsieur le président, si j’avais réussi. » Méfiez-vous des fous galonnés !
Stéphane de Boysson