Il a fallu patienter sept ans avant de lire le deuxième roman de Nathan Hill, après Les fantômes du vieux pays, Bien-être raconte le parcours amoureux de deux personnages qui nous ressemblent et qui affrontent la mélancolie de notre réalité contemporaine. Bravo !
Le lecteur aura su être patient pour attendre un successeur à l’excellentissime premier roman de Nathan Hill Les fantômes du vieux pays : sept ans ! Plusieurs raisons à cela, comme l’a expliqué l’auteur de Bien-être, cela prend du temps « d’écrire une histoire d’amour sur du temps long, avec un couple que l’on retrouverait à des âges différents. » (Le Monde – 21/03/2024). Ceci n’est pas sans rappeler le dernier livre de Ian McEwan Leçons (Benzine – 24/10/2023) et même si, ici, on nous parle de personnages qui avaient une vingtaine d’années dans les 90’s quand l’écrivain anglais décrivait, lui, sa jeunesse dans les 50’s.
L’autre explication invoquée par Nathan Hill, tout aussi justifiée, est qu’un roman c’est : « une idée à la forme très vague sur laquelle des choses s’agrègent à mesure que vous jouez avec. » (Ibid). Certes les contempteurs de ce genre littéraire protesteront que cela sent le « creative writing » à des miles – ils n’auront pas tort – mais les autres y trouveront largement leur compte surtout face à l’indigence d’une certaine littérature française qui persiste à croire que l’écriture est un don que des privilégiés « auraient » à la naissance…qu’une pauvre intrigue, une existence douloureuse ou des doutes existentiels suffisent pour se mettre devant son traitement de texte et pondre un livre.
Si nous pensons le plus grand bien de ce dernier roman de Nathan Hill, il serait malhonnête de cacher que l’écrivain ne succombe pas parfois aux travers des ateliers d’écriture (et sur plus de 650 pages), notamment quand dans le chapitre « Craquage » – au demeurant désopilant – nous avons droit à une description exhaustive de l’éducation positive des enfants à notre époque (plus de 50 ouvrages cités en référence à la fin de l’ouvrage…) ou encore quand l’auteur tartine plus de 40 pages sur les algorithmes utilisés par Facebook dans la partie «Les utilisateurs nécessiteux – un drame en sept algorithmes » , je passe sur d’autres sujets ainsi traités (l’effet placebo, la peinture nord-américaine du XIXème, la liste n’est pas exhaustive mais le propos est toujours passionnant). Vous l’aurez compris, à la fin de Bien-être vous aurez beaucoup appris, vous aurez un avis sur tout et vous pourrez ainsi briller en société. C’est une inclination de ce courant littéraire (initié par Roth et poursuivi par Franzen) mais c’est largement compensé par la force romanesque, ce que vous pouvez en tirer et la qualité d’écriture de l’ensemble.
Dès les premières pages de Bien-être, Nathan Hill nous immerge dans la psyché et l’intimité d’Elisabeth et Jack, deux étudiants plongés dans la bohème étudiante de Chicago avant de tomber en amour. Lui est étudiant en arts plastiques, photographe à ses heures, on le suit dans les concerts indés de la ville (la bande son est impeccable), elle, c’est une jeune bourgeoise sérieuse en rupture de ban notamment avec ses origines (la description du parcours de ses illustres ancêtres est réjouissante).
Ils vivent dans un quartier pré-gentrifié. Si vous avez eu la chance de vivre, à l’époque, cette existence estudiantine dans n’importe quelle ville un tant soit peu active culturellement, il est difficile de ne pas succomber à un puissant effet madeleine, j’avoue j’ai craqué.
La force de Nathan Hill est sa capacité de nous mettre à la place de ses héros, de nous faire partager leurs psychologies profondes, de comprendre le pourquoi du comment de leurs décisions. Sans-doute épousons nous une vision commune de l’existence, les mêmes références culturelles, les mêmes opinions sociétales (et même si ce sont des étatsuniens), un entre-soi douillet, sans doute que certains grincheux reprocheront ce côté des choses mais ils n’ont qu’à passer leur chemin. Bref pour les autres, n’hésitons pas à endosser les vies d’Elisabeth, Jack et coltinons nous avec la dure réalité du passage à la vie d’adulte : un gamin, la routine, l’achat d’un appartement (pas sans embûches), des amis qui ont trahi les idéaux (comme nous tous d’ailleurs), les infidélités, la gestion des parents (le père de Jack a tourné complotiste), les nouvelles croyances (l’obsession du bien-être), la mutation de la société, notre rapport à la réalité (merci les GAFA’s), j’en passe, n’ayez crainte le miroir tendu est salutaire et nous contraint à réfléchir sur nos propres parcours, non sans provoquer des ricanements sur ce qui a fait une partie de nos existences (une certaine vacuité par exemple).
Au risque d’exagérer, Nathan Hill tente de faire avec Bien-être le roman total sur l’existence de deux êtres via des allers retours, des chassez-croisés entre leurs enfances, adolescences, vie commune, vies intérieures, vies professionnelles, sociales, comme déjà mentionné on s’y retrouve souvent (en bien et en mal), démontrant ainsi la puissance démiurge de l’écrivain.
N’hésitez pas à vous jeter dans Bien-être (et même si cela va durer plus de 650 pages mais vous serez largement récompensés), c’est ambitieux, brillant, cela embrasse tout ce qui nous entoure, cela ne pourra que vous parler à un moment ou l’autre du récit.
Nathan Hill, de par son origine (ses parents étaient fermiers dans l’Iowa), de par son éducation (enseignant en littérature), de par sa culture livresque nous offre la possibilité « d’approcher au plus près la psyché de quelqu’un qui n’est pas soi » mais pas si éloigné quand même…mais aussi et surtout de nous tenir passionné par l’existence de deux inconnus…mais pas tant que cela finalement. Recommandé.
Éric ATTIC