Chronique humoristique des débuts dans le journalisme d’un jeune homme sortant plein d’illusion d’une grande école de journalisme, La Fabrique des news dresse un constat accablant de la déliquescence du « quatrième pouvoir ». A lire pour rire (jaune).
La Fabrique des news a pour sous-titre « Un reporter à la chaîne », assimilant le travail du deskeur qu’exerce – au sein d’une chaîne d’information continue – Guillaume à la fin de ses études de journalisme, à celui d’un simple ouvrier besognant à toute allure sur l’une de ces chaînes de production directement sortie des Temps modernes de Chaplin. Mais, sur la quatrième de couverture, est posée la question réellement importante : « Où est passé le Quatrième Pouvoir ? ». Car, plus grave encore que la fragmentation abêtissante du travail du journaliste pour entrer dans les cases de la diffusion frénétique de l’actualité, le problème que soulève Pierre Millet-Bellando est bien celui de la soumission totale de la presse et de la télévision aux diktats de leurs actionnaires, et donc, finalement, leur obéissance docile à un pouvoir absolu qui ne tolère plus aucune remise en question.
Pierre Millet-Bellando a été lui-même journaliste à la télévision, et on peut penser que l’histoire de Guillaume est fortement inspirée de ses propres mésaventures – peut-être enrichies par des anecdotes collectées au cours de sa carrière : car La Fabrique des news, en dépit de son aspect satirique (mais subtilement satirique, on sent bien qu’il y a ici peu d’exagération, juste une légèreté ironique dans la manière de conter les faits), a tout de l’autofiction.
Ce qui est intéressant, par ailleurs, c’est qu’on réalise que la vie de galère de Guillaume, se prenant de plein fouet la violence des rapports professionnels dans un monde où chacun est taillable et corvéable à merci, où l’éthique a largement disparu, et où chacun est réduit à être un rouage dans le fonctionnement d’une machine emballée, dont le seul but est de satisfaire les besoins en dividendes des actionnaires, n’est pas très différent de celle de millions d’employés, voire de cadres, dans tous les domaines d’activité.
Mais bien sûr, « journaliste » n’est pas exactement un métier comme un autre : comment succéder à des Carl Bernstein et Bob Woodward – pour reprendre un exemple célèbre -, ou à un Albert Londres (le modèle que s’est choisi Guillaume, avec lequel il a des conversations imaginaires !) quand toute possibilité pratique d’investigation, d’enquête sérieuse a littéralement été annihilée ? Peu à peu Guillaume découvre donc que, au delà de sa réussite professionnelle, la haute idée qu’il se faisait de son métier ne correspond plus à la réalité du XXIe siècle.
Ce sera la révolte des « gilets jaunes », et la confrontation enfin possible, sur le terrain, avec « le monde réel », avec de « vrais gens », qui lui feront réaliser combien il a lui même trahi ses propres idéaux : sa vie n’a pas le sens qu’il voulait lui donner, il perd son meilleur ami, et il n’a devant lui que la perspective de répéter encore et toujours les mêmes tâches, sans impact aucun sur la société. Que peut-il faire ? Si les pages sur les « gilets jaunes » sont bouleversantes – Millet-Bellando ne se réfugiant plus autant derrière l’humour pour raconter ces belles rencontres sur les ronds-points -, la conclusion de La Fabrique des news n’apporte pas de réelle réponse au dilemme de Guillaume.
Car l’avenir du journalisme reste sombre. Ce qui n’empêche pas La Fabrique des news d’être un beau livre, presque un appel à l’aide, ou tout au moins au réveil des conscience face à des informations devenues de simples « produits de consommation ». Encore une lecture aussi divertissante (car répétons-le, on rit beaucoup en en tournant les pages) que salutaire.
Eric Debarnot