Non, le « phénomène » transgenre n’est pas une « invention moderne », et Hors-la-loi, l’histoire vraie d’une femme au début du XXe siècle, ayant décidé de devenir l’homme qu’elle se sentait être, qui plus est un cow-boy et un redoutable bandit, en est une belle illustration.
Les anti-wokes acharnés accusent fréquemment le « phénomène » transgenre d’être une « invention moderne », un symptôme inacceptable de la maladie d’une société trop permissive. Pourtant, l’histoire « officielle », « archivée », regorge d’exemples de personnes ne pouvant pas vivre avec le sexe que la nature leur a attribué, et qui ont mené une existence – au vu et au su de tous – en « changeant de genre ». Les auteurs du biopic de Harry Allen, bandit de grand chemin dans le Far West du début du XXème siècle, séducteur irrésistible, qui s’appelait à l’origine Nell Pickrell, ont bien pris soin de débuter leur Hors-la-Loi : l’histoire d’un cowboy transgenre par des reproductions de coupures de journaux de l’époque, qui, photo à l’appui, racontent l’histoire de cette « Woman by Nature » devenue « Man by Choice ». Devenue homme, mais pas seulement : également boxeur, artificier, videur, braqueur de banques, etc. Et, surtout (?), séducteur impénitent, aussi bien d’hommes que de femmes !
Car l’histoire de Harry / Bell est fantastique, pleine de péripéties, de rebondissements que nul scénariste hollywoodien ne voudrait imaginer de peur qu’on les taxe d’invraisemblances. Et pourtant elle est vraie. Elle est un matériau parfait pour raconter une grande aventure d’un être ayant refusé de se plier à tout ce que le monde voulait lui imposer : élevée par des parents alcooliques, violents, Nell a choisi de devenir le garçon qu’elle se sentait être, faisant fi des impératifs naturels. Son goût prononcé pour le sexe n’a jamais été empêché par sa « morphologie génétique » : hommes et femmes prenaient du plaisir entre ses bras, sans que cette soi-disant « aberration » (comme la qualifie les réactionnaires de 2024) ne soit un obstacle ni à la jouissance, ni aux sentiments. Rétif à toutes les règles sociales, Harry est devenu un redoutable boxeur, un bagarreur sans remords, un bandit de grand chemin. Et si, à la fin, son passé l’a rattrapé, et si sa frénésie sexuelle a causé sa mort, Nell/Harry a vécu une vie remarquable d’être libre.
Nell/Harry, efficacement raconté par Stéphane Tamaillon et joliment dessiné par Priscilla Horviller, n’est pas forcément sympathique, et a semé sur sa route mort et désolation. Pourtant, quel destin ! Quelle leçon pour tous ceux qui aiment que les choses et les gens soient et restent bien à leur place !
Et si, quand on referme ce livre passionnant, on ne saurait dire qu’on a saisi qui était Nell/Harry, on a au moins été emporté par le souffle de l’aventure, on a été émerveillé par la façon dont la société de l’époque – qui, paradoxalement, semble beaucoup moins choquée que celle d’aujourd’hui – n’a jamais réussi à l’arrêter dans sa course.
Et si Hors-la-Loi n’était pas, finalement, un livre parlant de transgenres, mais plutôt de liberté ? De cette liberté que chacun/e d’entre nous peut gagner, à condition de le vouloir assez fort ?
Eric Debarnot