[Apple TV+] Pachinko – Saison 2 : le mieux ennemi du bien ?

Après la superbe mise en bouche de la Saison 1, la Saison 2 de Pachinko a des airs de saison de transition. Son foisonnement frôle l’indigestion. Contrecoup d’un niveau d’ambition rare dans les séries de ces dernières années ?

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C’est peu dire que Pachinko manque de reconnaissance. Succès d’estime certes mais une seule nomination aux Emmys pour le meilleur générique. L’existence d’une Saison 2 est déjà une agréable surprise. Sa Saison 3 envisagée comme conclusive est très incertaine. Mais sa rare ambition justifie-t-elle de taire la semi-déception de sa seconde saison ? Une saison dont le caractère foisonnant peut culpabiliser de ne pas plus y adhérer. Le visionnage de la série souffre-t-il de la délivrance hebdomadaire des épisodes ? Un visionnage d’un trait aurait-il été plus aisé ?

Les parties au passé racontent beaucoup… trop, peut-être. Le racisme anti-coréen au Japon, le militarisme et les mensonges propagandistes ne faiblissant pas à l’approche d’Hiroshima et de Nagasaki, la vie des personnes réfugiées dans le Japon rural à l’aube des bombardements, les conditions de vie difficiles au lendemain de la guerre en pleine occupation américaine, le miracle économique nippon, la contestation étudiante d’extrême-gauche au Japon, les Coréens du Japon malheureux en voyant leur pays natal se couper en deux…

Toutes choses pour la plupart déjà abordées par le meilleur cinéma japonais. Le personnage de Koh Hansu est par exemple une version coréenne des yakuzas ayant profité du miracle économique nippon vus chez Fukasaku. Inscription dans une lignée artistique prestigieuse non dénuée de maladresses. Le Noir et Blanc poseur du passage précédant Nagasaki semble ainsi un hommage à Pluie Noire, superbe film d’Imamura sur les conséquences de la Bombe A. Déjà dépeint par Oshima, le racisme anti-coréen est certes historiquement réel au Japon. Mais le scénario le décrit avec une insistance didactique.

La multiplication des récits se fait au détriment de la cohésion narrative de cette saison. Décriée par beaucoup de retours critiques, la partie située dans les années 1980 est plaisante parce que la simplicité de son récit contraste avec la part de confusion narrative du reste de la saison. Elle raconte la romance entre Solomon et Naomi (excellente Anna Sawai vue aussi dans Shogun) et la transformation de Solomon en requin entrepreneurial typiquement années 1980.

Une partie qui a le mérite d’évoquer la décennie 1980 japonaise prospère. Une décennie où le Japon était cité comme un exemple à suivre par les chantres français du libéralisme économique. Une décennie où le pays représentait un réel rival économique des Etats-Unis. Période peu traitée par le cinéma japonais là où ce dernier a nettement plus documenté la longue crise économique débutant avec les années 1990.

Le charme de cette partie est un peu comparable à écouter le mari de Rose prédire l’oubli à Picasso dans Titanic. Elle se regarde en sachant ce que les personnages ignorent. A savoir que le moment où la bulle explosera approche. Aspect souligné par l’épisode final. Alors qu’il présente un projet de cours de golf, Solomon est interrogé sur un possible krach immobilier au Japon. Son collègue de travail annonce de son côté qu’il part pour Macao. Lieu appelé à devenir, suite à un développement économique chinois parallèle au déclin japonais, un Vegas asiatique.

Un arc narratif résume la nature de cette saison : l’amitié entre une Sunja âgée et Kato (Jun Kunimura). Bien sûr qu’il y a du plaisir à revoir Kunimura, vraie gueule du cinéma japonais ayant collaboré avec de grosses pointures du cinéma mondial (Ridley Scott, Woo, Tarantino, Kitano…). Mais cet arc est bien trop étiré. Sa résolution lors de l’épisode final est ceci dit puissante, évocatrice du versant le plus dénonciateur de l’horreur de la guerre du cinéma japonais des années 1960-1970.

Un peu comme si cette seconde saison avait d’abord été une saison de transition avant une dernière saison conclusive. Dans le superbe huitième et dernier épisode, le scénario se resserre et esquisse des pistes narratives potentiellement intéressantes. Le beau plan final fait quant à lui pardonner le recours à une reprise ralentie de Viva la Vida de Coldplay. Certes, le texte, narré par un souverain renversé par le peuple, entre en résonance avec cette saison. I used to rule the world / Seas would rise when I gave the word / Now in the morning, I sleep alone / Sweep the streets I used to own. (Avant, je dirigeais le monde. Les océans se soulevaient quand j’en donnais l’ordre. Maintenant je dors seul le matin. Je balaye les rues qui m’appartenaient.) Mais même dépouillé de la production d’Eno le morceau continue de casser les oreilles.

Cette Saison 2 de Pachinko aura autant exaspéré que fasciné. Elle semble préparer une troisième saison dont on ne sait si elle existera au final. Si ce n’est pas le cas, il restera au pire une grande saison et sa suite aussi belle que bancale.

Ordell Robbie

Pachinko
Série TV de Soo Hugh (coproduction USA – Canada – Corée du Sud)
Avec : Jin Ha, Youn Yuh-Jung, Soji Arai…
Genre : Drame, historique
8 épisodes de 55 minutes, mis en ligne (Apple TV+) du 23 août au 11 octobre 2024

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