Dans La Maison du diable, John Darnielle imagine un auteur qui s’installe dans la maison où a eu lieu un double meurtre, sujet de son prochain livre. Réflexion sur la création, évocation de l’adolescence comme âge de tous les troubles, La Maison du diable se révèle être un roman aussi passionnant que singulier.
Les lecteurs fidèles de Benzinemag, surtout ceux qui lisent assidûment sa page “Musique”, connaissent sans doute le nom de John Darnielle, songwriter américain et leader des Mountain Goats. Apparu au cours des années 90, le groupe est bien connu des amateurs de lo-fi, courant musical aux contours assez flous mais qui a servi de bannière à une génération de musiciens adeptes de l’artisanat et du Do It Yourself. Mais John Darnielle est aussi écrivain. Il a publié trois romans depuis 2014 et cette imposante Maison du diable (2022), son dernier en date, est publié en France par les éditions du Gospel, qui partagent avec Darnielle son goût pour les courants underground et alternatifs.
Dans La Maison du diable, John Darnielle nous raconte l’histoire de Gage Chandler, un auteur à succès qui écrit des true crimes, des récits d’affaires criminelles, à mi-chemin entre le roman et l’enquête journalistique. Au début du livre, Chandler est contacté par son éditeur qui lui propose de s’intéresser à un crime particulièrement sordide : au milieu des années 80, des adolescents qui avaient investi une ancienne boutique porno laissée à l’abandon, ont massacré deux personnes. La singularité du lieu autant que les rumeurs de rites sataniques interpellent Chandler qui décide d’acheter l’ancienne boutique transformée en maison. Il s’y installe donc et se met au travail…
Quand on lit le point de départ du roman, on a un peu l’impression de découvrir le pitch du nouveau Stephen King ou de la prochaine série Netflix. Pourtant, dès les premières pages, l’écriture très singulière de Darnielle nous fait comprendre qu’il n’en sera rien. Dense, très précise, la plume de l’écrivain semble vouloir explorer les recoins de cette histoire. Elle s’attarde sur la description des lieux, multiplie les détails ou les allusions, passe d’un sujet à un autre sans prévenir, insère des récits dans les récits…
L’écriture peut donc déstabiliser mais elle fonctionne aussi comme un envoûtement qui, page après page, emprisonne le lecteur qui a bien du mal à passer à autre chose. Surtout, John Darnielle laisse très vite entrevoir que ce n’est pas tant le récit d’un crime sordide qui l’intéresse que de découvrir la vérité derrière le discours officiel qui s’est répandu avec le temps. Son roman devient donc un objet littéraire assez différent de celui que l’on pensait lire au départ. Moins romanesque peut-être qu’un énième thriller horrifique, La Maison du diable n’en est pas moins fascinante, notamment lorsqu’elle s’attarde sur les adolescents qui peuplent cette histoire.
Souvent en rupture, les adolescents du roman de John Darnielle se cherchent, expérimentent et finissent par s’exprimer par la grâce de la création artistique. Ainsi, les pages qui décrivent comment un groupe d’ados en marge utilisent l’ancienne boutique porno comme support à leur imagination sont parmi les plus réussies du livre. Ils transforment littéralement le lieu pour qu’il devienne leur refuge – un refuge qu’il façonne au gré de leurs idées.
Enfin, à mesure qu’il dévoile les contours du crime qui doit être au cœur de son livre, Chandler s’interroge de plus en plus sur son rôle d’écrivain mais aussi sur ses droits et devoirs en tant qu’auteur de true crimes. C’est évidemment passionnant tant Darnielle soulève de questions, notamment sur la vérité que l’écrivain doit – ou non – dévoiler dans son récit.
Quoi qu’il en soit, avec cette Maison du diable, les éditions du Gospel confirment leur volonté de publier des romans qui sortent du tout venant, des livres singuliers, imparfaits sans doute, mais stimulants et toujours d’une grande originalité.
Grégory Seyer