Sur 2h40, Gilles Lellouche nous parle d’amour pur dans un monde de brutes sans jamais (ou très rarement) l’incarner, le rendre palpable à l’écran, y préférant une débauche d’esbroufe technique incapable de mettre en valeur son matériau narratif.
Ça faisait depuis 17 ans que Gilles Lellouche voulait adapter le roman de Neville Thompson. 17 ans que ça le travaillait, qu’il en rêvait. Et en rêvait-il déjà comme ça, sous cette forme-là, bouffie et bourrative ? Rêvait-il de cette romance avec autant de grandiloquence, de bruit et de fureur ? Délocalisant le récit de Dublin au nord de la France pendant les années 80, Lellouche se donne à donf pour mettre en images cette histoire d’amour fol traversant les décennies et les vacheries de la vie. Commençant par un coup de foudre aux portes du lycée, l’idylle alchimique entre Jackie et Clotaire va brusquement s’interrompre quand celui-ci, petite canaille se rêvant gangster lover, se retrouve (à tort) en prison. Des années plus tard, Jackie a (presque) réussi à oublier Clotaire et s’est mariée avec un bouffon. Mais Clotaire, lui, est toujours raide dingue de Jackie…
Sur 2h40, Lellouche sort la grosse artillerie stylistique, il y va sans chipoter, généreux et rutilant. Parce qu’à pratiquement chaque scène, on le sent bouffé par ce besoin irrépressible, viscéral c’est certain, de faire du cinéma. Alors que, de base, on veut juste du bon cinéma, et pas une simple débauche d’esbroufe technique incapable de se mettre au service d’un matériau narratif (remember Athena). L’amour ouf ? Non, pas vraiment. Patapouf à la rigueur. D’autant que, côté scénario, là aussi c’est la double ration de kloug avec sa ribambelle de personnages caricaturaux (seul celui de Jackie échappe aux poncifs, et encore, en étant vachement indulgent), de situations convenues et de propos naïfs.
D’ailleurs, on aurait sans doute pu y adhérer, à cette naïveté jurée crachée, pourquoi pas, mais Lellouche nous parle d’amour pur dans un monde de brutes (c’est un peu Roméo et Juliette qui rencontre BAC Nord), d’amour plus fort que tout (que le temps qui passe, la violence, les sales cons…) sans jamais, ou très rarement, l’incarner, le rendre palpable et incandescent à l’écran (et malgré tout le talent des acteurs qui font bien comme ils peuvent). En n’en faisant rien d’autre qu’une espèce de clip boosté aux tubes des années 80-90 incapable de transcender cette énième love story contrariée par cette chienne de vie.
Finalement, la vraie prouesse de Lellouche est d’être parvenu, pendant 2h40, à ne pas nous ennuyer malgré un déferlement de dialogues creux, un scénario en mode boulevard des clichés (pourtant écrit à quatre, avec Audrey Diwan, Ahmed Hamidi et Julien Lambroschini) et des effets de mise en scène digne d’un étudiant en cinéma dont la ferveur, candide, l’oblige à citer et à vouloir filmer comme quelques grandes figures du cinéma américain (Scorsese, Coppola, Anderson…). Lellouche pourtant l’a dit : « Il y a mille manières de réaliser un film, mille manières de le raconter. J’aurais pu tout filmer caméra à l’épaule, pousser davantage l’esthétique, être plus abstrait ou encore plus concret ». Sauf que, pas de bol, il a opté pour l’une des moins digestes et des moins pertinentes.
Michaël Pigé