Un polar des plus classiques de la part d’une auteure dont le parcours ne l’est pas du tout : anthropologue, elle a collaboré avec le TPI sur les enquêtes menées au Kosovo et au Rwanda concernant les charniers ! Une expérience marquante qui nourrit l’intrigue de ses romans et tisse leur trame.
Métisse de mère africaine et de père américain, Clea Koff vit aux États-Unis où elle a suivi des études d’anthropologie qui l’ont conduite très jeune… au Rwanda puis au Kosovo pour le TPI.
Elle y réalisait les identifications des corps des charniers et des victimes des massacres. Quel parcours !
Elle en a d’ailleurs tiré un livre personnel : « La mémoire des os » (2023 éditions EHO).
En tout cas, voilà expérience et matière pour irriguer ses polars durant quelques années !
« Surfacing » est son deuxième polar paru en français. C’est même une « première mondiale » (!) car cette traduction parait chez nous avant même la version originale US qui ne sortira que l’an prochain !
Un peu comme Patricia Cornwell et sa médecin légiste Kay Scarpetta (souvenez-vous, ça date un peu !), elle met en scène une anthropologue (et son amie) qui cherchent à établir des liens entre les restes humains des cadavres retrouvés et les dossiers des personnes portées disparues.
« […] – J’aimerais vous poser quelques questions. En l’occurrence, je constate ici que votre agence établit des profils forensiques de personnes portées disparues?
– Dans le but d’améliorer les chances de les identifier si on les retrouve mortes, oui, confirma Jayne. »
Voilà un polar plutôt classique avec une écriture sobre, des personnages rapidement dessinés, une ambiance « série tv » qui nous est familière et qui ne va pas bouleverser le genre.
Mais c’est le parcours de l’auteure qui fait tout l’intérêt de ce bouquin : Clea Koff a participé aux opérations d’exhumation au Kosovo et au Rwanda, pour le compte du Tribunal Pénal International.
Pour identifier les corps et les restituer aux familles en deuil.
Dans son roman policier, dont l’intrigue est pourtant bien éloignée des Balkans ou de l’Afrique, l’auteure parvient à rendre compte avec brio de son travail d’anthropologue, une sorte de médiation entre les familles des victimes et les services de police et de médecine légale.
C’est ce dévouement, empreint de compassion et d’humanité envers les proches en deuil, qui est remarquable et qui rend ce bouquin si intéressant.
Le métissage est également au cœur de l’intrigue de ce roman : l’auteure est elle-même métisse afro-américaine, son héroïne Jayne également ainsi que la victime dont on retrouve le cadavre au début du roman.
Ces réflexions invitent le lecteur (et quelques autres personnages !) à méditer sur les enjeux du métissage, grâce aux réparties de Steelie (l’amie de Jayne) … qui ne laisse rien passer !
« […] – Les deux étudiants qui ont disparu du club sont ceux dont les noms n’ont pas de consonance ethnique. Steelie la corrigea immédiatement:
– Ils ont une consonance ethnique, mais probablement européenne.
– On ne peut pas utiliser le mot « ethnique » au sens où tout le monde I’utilise: pour signifier « non-Blanc »?
Steelie fronça le nez et Jayne sourit. Elle connaissait déjà la suite.
– Au mieux, cet usage prive les Blancs de leurs ancêtres, répondit Steelie. Au pire, c’est une extension linguistique de l’hégémonie de la blancheur comme fondement de la personnalité.
En réalité, en tant qu’anthropologue, je ne peux pas utiliser « ethnique » pour signifier « non-Blanc ». »
On va retrouver là, Jayne l’anthropologue métisse (un double littéraire de l’auteure) et son amie Stellie.
Après son expérience au Kosovo et au Rwanda, Jayne souffre de stress post-traumatique.
Wes et Sanchez, deux inspecteurs du LAPD.
Scott et Eric, deux agents du FBI.
Psssttt (mini-spoiler !) : Scott et Jayne fricotent ensemble, mais chut !
Lors de travaux sur le campus universitaire de L.A., le squelette d’un jeune homme est exhumé.
Du boulot pour notre anthropologue !
L’analyse montre des traces de poison. S’agit-il d’un étudiant disparu 4 ans plus tôt ?
« […] – Le corps, nous l’avons à peine vu, mais de toute façon nous n’aurions rien détecté puisqu’un empoisonnement est la cause du décès.
– En fait, hier, vous avez tripoté le corps d’une victime morte par empoisonnement? Une victime qui va sans doute se révéler un étudiant tué sur le campus?
Elle essaya de le prendre à la légère, en rinçant sa tasse de café. »
Bruno Ménétrier