La vie ou presque est une fresque haletante autour d’une amitié, trois destins plus ou moins contrariés d’écrivains de 1990 à 2050, un jeu de piste autour du monde médiatico-littéraire et un beau récit autour des aléas de nos vies et tout ce qui les compose.
Pour être tout à fait honnête, j’ai failli laisser tomber la lecture de ce livre à l’issue des trois premiers chapitres… Mal m’en aurait pris car la suite, donc l’ensemble de La vie ou presque de Xabi Molia, est un vrai régal pour tout lecteur féru des dessous du monde littéraire. Nous suivons dans cette fresque enlevée le parcours de Paul et Simon, deux frères et de leur amie Idoya tout au long d’Une vie ou presque.
L’auteur publie ici son dixième roman, il est aussi le réalisateur de plusieurs films dont Comme des rois (2018) et 8 fois debout (2009). Cet homme sait indéniablement bâtir des histoires et tenir le lecteur ou le spectateur en haleine.
Tout commence pourtant par la présentation laborieuse de trois jeunes gens, auxquels on s’attache immédiatement : « Tous les trois sont convaincus que la littérature a des pouvoirs considérables. On pourra grâce à elle échapper aux vies réglées d’avance, résister aux assauts de l’ennui et peut-être même aimer davantage le monde. ». Ne gâchant rien, ils ont bon goût en littérature, en musique, en cinéma, lisent les bons journaux, sont du Sud-ouest, veulent devenir écrivains et mettre à genoux la capitale.
Certes, c’est du mouron voire du feel-good détraqué pour les boomers lettrés – même si Xabi Molia est né en 1977 – mais il n’y pas de mal à se faire du bien. L’auteur nous caresse dans le sens du poil et nous fait frissonner d’effroi dans la fin de son récit dystopique (futur très virtuel et numérique)!
La vie ou presque ne dévoile rien de ce que nous pouvions déjà imaginer ou savoir sur les dessous et travers du monde littéraire via les péripéties de Paul Marcilhac (écrivain à succès, prix Goncourt), les mésaventures de Simon son frère, écrivain raté (?), frustré, jaloux de son frère et les errements d’Idoya qui multiplie les actes – éditoriaux – manqués, c’est pourtant la plus talentueuse et intègre des trois. C’est un délicieux jeu de piste pour celui qui tente de faire un parallèle entre la vraie vie médiatico-littéraire et les personnages évoqués. On ne ressent pourtant aucune acrimonie dans les propos de l’auteur et même si on imagine aisément que ce n’est pas le genre de roman qui sera encensé ou couronné par les cercles germanopratins…sans doute trop page-turner et sur 240 pages seulement.
Il y a pourtant du brio dans ce roman particulièrement dans sa capacité à multiplier les pistes romanesques sur lesquels nos écrivains phosphorent, cette mise en abyme nous autorise ainsi à avoir plusieurs romans dans le roman (et même s’ils sont inachevés). L’autre belle réussite du livre sont les cinq chapitres consacrés aux biographies des Ecrivains parfaits, seule trace écrite du travail littéraire d’Oya. On pense ici à Georges Perec dans cette capacité d’emboiter les histoires dans d’autres récits mais je m’égare sans doute.
La vie ou presque brosse le portrait d’une génération des années 90 aux années 2050…et permet, une fois de plus, à Xabi Molia de laisser libre cours à son imagination, l’IA est bien présente, l’ultra droite est passée par là, le réchauffement climatique n’est plus une fake news…tout est de plus en plus virtuel et on a créé un Goncourt pour les vieux : tout cela n’est guère réjouissant mais on sourit jaune quand même !
Nous ne serions pas complets si nous ne mentionnions que suivre le parcours au long cours de nos trois personnages nous permet de mettre le doigt sur les relations fraternelles toxiques, les illusions perdues, les destins chaotiques qui laissent des victimes familiales au bord de la route : une fois de plus c’est tout à fait bien brossé.
La vie ou presque nous tient en haleine, nous invitant dans le quotidien d’Idoya, Paul et Simon, nous fait partager leur doute, leur problème d’inspiration, les aléas du marché littéraire (la rareté grandissante des lecteurs), leur difficulté à vivre…et faire face à des destins aux antipodes. On ne s’ennuie pas un seul instant.
La vie ou presque est finalement peut-être un mode d’emploi…pour les apprentis écrivains et les pièges à éviter ? Recommandé.
Éric ATTIC