Remake par John Woo en personne d’une pierre angulaire du cinéma d’action contemporain, The Killer se saborde à coup d’erreurs de casting au kilomètre.
Du côté de l’Asie, c’est Le Syndicat du Crime qui est en général considéré comme le chef d’œuvre de John Woo. Le film a donné à Chow Yun-fat le surnom d’Alain Delon d’Asie. L’acteur y portait d’ailleurs des lunettes de soleil Alain Delon. Suite à l’explosion des ventes du modèle à Hong Kong, l’acteur recevra d’ailleurs les félicitations personnelles du Samouraï. C’est par ce film-là que le style Woo fera école du côté de Hong Kong, du Japon et de la Corée du Sud. En Occident, c’est The Killer qui a ce type de statut.
Aboutissement formel, le film a vite fait école dans le cinéma de genre hollywoodien. Au point que les innovations « wooiennes » font désormais partie du domaine public dans le cinéma d’action contemporain, à l’instar des apports d’un Jackson, ou d’un Presley dans la musique populaire. Le film représenta aussi pour beaucoup de cinéphiles occidentaux une porte d’entrée dans le cinéma de genre asiatique. Entre temps, le cinéaste aura réalisé une paire de classiques HK (Une Balle dans la tête, A Toute Epreuve), et son meilleur film américain (Volte/Face), avant de décevoir. Ne souffrant pas du pompiérisme de bien des superproductions chinoises continentales en costumes, Les Trois Royaumes laissait cependant espérer un virage vers un bon cinéma artisanal. Un espoir qui restera sans lendemain.
Tandis que de l’eau a coulé sous les ponts du cinéma d’action, Woo a décidé de « remaker » ce qu’il considérait comme son film parfait. Un remake sur sol parisien, avec une tueuse reprenant le personnage de Jeff/Chow Yun-fat, le sexe de son flic antagoniste/miroir étant inchangé. Un remake scénarisé par un trio de scénaristes anglo-saxons, incluant Brian Helgeland, célèbre pour avoir réussi la difficile tache d’adapter au cinéma James Ellroy (L.A. Confidential). Un remake pour une plateforme américaine (Peacock), même si le film sort en salles en France.
Zee (Nathalie Emmanuel) est une tueuse professionnelle vivant à Paris. Elle est employée par truand irlandais, Finn (Sam Worthington), afin d’éliminer les rivaux du patron de ce dernier, le parrain Jules Gobert (Eric Cantona). En exécutant un contrat, elle rend aveugle la chanteuse américaine Jenn Clark (Diana Silvers).
Comme le laissait craindre la bande annonce, ce remake est un naufrage. On peut faire preuve d’indulgence vis-à-vis de ces flics et truands échappés d’une production Besson : ils sont souvent présents dans un film de genre américain tourné en France (Femme Fatale…). Mais, même en mettant de côté l’abandon de la dimension tragique de l’original, le scénario complique inutilement une intrigue dont la limpidité faisait la force. Surtout, le film contient très peu d’action. On peut aussi rajouter un score de Beltrami et une photographie n’arrivant pas à la cheville des travaux respectifs du compositeur Lowell Lo et du tandem Wong Wing-hang (Le Syndicat du crime)/Peter Pau (Tigre et Dragon) sur l’original.
Cependant, ce sont d’abord les erreurs de casting au kilomètre qui plombent le film. Quand bien même John Woo est réputé comme styliste, ses meilleurs films sont inséparables de ses acteurs. Ce sont eux qui tirent en partie vers le haut tout ce qui se rapproche dangereusement du cliché, du ridicule ou de l’invraisemblable. L’élégance naturelle et le charisme félin de Chow Yun-fat et Tony Leung Chiu-wai sont essentielles dans les réussites hongkongaises. Des réussites qui ont d’ailleurs en partie contribué à l’aura cinéphile de demi-dieux de ces deux acteurs durant les années 1990.
Quant à Volte/Face… Un film dans lequel les compagnes respectives des deux antagonistes ne se rendent pas compte du double changement d’identité. Ces derniers sont pourtant interprétés par deux acteurs de tailles très différentes. Ne parlons même pas des capacités d’imitation de la voix de l’autre dignes d‘un Yves Lecoq. Mais, associés à une vista visuelle retrouvée, le charisme et le talent de John Travolta et Nicolas Cage faisaient avaler ces couleuvres.
Dans le remake, les tentatives d’imitation des mimiques félines de Chow Yun-fat et Danny Lee par Nathalie Emmanuel et Omar Sy (interprète de Sey, flic antagoniste/miroir de Zee) transpirent le ridicule. La reprise de dialogue wooien typique (Il ne reste qu’une balle…) rappelle encore plus que le duo n’est pas à la hauteur. L’alchimie du tandem est proche du zéro absolu. Eric Cantona et Saïd Taghmaoui ont une crédibilité nulle dans leurs rôles respectifs du -je cite- Parrain les plus redouté de Paris et de prince saoudien. Tandis que le changement de sexe du rôle principal n’apporte rien, la petite singularité se situerait dans un peu plus de combats au corps à corps et un peu moins de flingues. Mais ça ne suffit pas, surtout que l’action n’a rien de mémorable.
Pourquoi un tel remake ? S’agit-il du seul type de projet pour lequel le cinéaste peut obtenir un financement aux Etats-Unis désormais ? Heureusement, un peu comme les risibles années 1980 de Delon n’effacent pas le mythe, ce remake, surtout pas à faire, n’efface pas le souvenir d’un cinéaste qui fut SDF pendant un an à l’âge de 7 ans et dut batailler plus d’une décennie à Hong Kong avant de pouvoir faire le cinéma qu’il voulait.
Ordell Robbie.