Le nouveau livre de la collection Cover des Editions du Layeur est consacré au groupe iconique Motörhead : c’est un objet magnifique, mais c’est aussi une biographie passionnante signée Julien Deléglise…
Motörhead n’est pas un groupe de Rock ordinaire, c’est un véritable phénomène culturel qui a redéfini les frontières de la musique que nous aimons, à travers ses 4 décennies d’existence. Lemmy Kilmister est l’une des rares icônes indiscutables du Rock : sa voix rauque et sa présence scénique légendaire ont marqué des générations. Plus important sans doute, Lemmy a su rester fidèle à lui-même dans un univers dont on sait à quel point il peut être impitoyable. Motörhead a influencé des générations d’artistes, des punks aux métalleux, en mélangeant rock’n’roll, punk et metal dans un son unique.
Pour Julien Deléglise, écrire sur Motörhead, c’est célébrer la liberté et la musique comme mode de vie, mais aussi l’intégrité d’un musicien mythique, fédérateur et charismatique comme l’était Lemmy. C’est en tout cas ce qu’il nous a confié lorsque nous l’avons rencontré…
Benzine : Julien, tu as derrière toi déjà pas mal de bons bouquins sur le Rock ? Tu peux nous expliquer ça ?
Julien : Oui, je suis d’abord un passionné de musique, et ce, depuis que j’ai 6 ans, avec ma découverte du Rock en 1985 : c’était Téléphone ! D’ailleurs mon précédent livre était sur Téléphone… J’ai commencé à écrire dans la presse musicale de manière tout à fait amateur, il y a 20 ans à peu près… Dans un magazine papier qui s’appelait Blues Again, puis sur un site Internet qui a disparu il y a 2 ans. J’ai écrit aussi pour des gens comme Jukebox Magazine, Best, Gonzaï, un peu Crossroads aussi quand ils ont voulu relancer. J’ai commencé à écrire des bouquins, le premier est sorti en 2015, j’en ai fait sept, chez le Camion Blanc. Il y a un peu de tout : j’ai fait la biographie officielle des Variations avec Marc Tobali, j’avais déjà sorti en 2016 un livre sur Motörhead, en fait la première biographie de Fast Eddy Clarke. Je suis au Layeur depuis quatre livres : le premier sur Iggy Pop and The Stooges avec Serge Kaganski et Gilles Scheps, il y a eu le Téléphone, et un Jazz Rock en 150 titres. Je suis quelqu’un d’assez éclectique… Motörhead est le dernier sorti…
Benzine : Le Motörhead est un bouquin splendide, en tous cas. Et puis il commence par une introduction passionnante sur comment Motörhead est arrivé dans ta vie…
Julien : Quand j’écris des bouquins, je le fais par choix, sur des « groupes de cœur », auxquels je tiens. Il faut une partie perso pour expliquer pourquoi, pour comprendre l’histoire du groupe par sa musique mais aussi par son contexte : c’est une aventure humaine. Les histoires de « sex, drugs & Rock’n’Roll’, ça me barbe : oui, Lemmy Kilmister s’est drogué, a picolé, s’est tapé un tas de nanas, mais ce n’est pas le sujet principal… Même si sa relation avec les femmes est intéressante, et il est un cas à part ! En fait, j’ai construit ce livre comme celui que j’aurais aimé lire quand j’étais ado – quand il n’y avait pas Internet -, comme une somme de choses intéressantes réunies par quelqu’un qui aime la musique.
Pour la partie autobiographique, j’étais un gamin du Jura, fils de profs ayant déménagé dans le Tarn : considéré comme un « fayot » au collège, au lycée, je me suis réfugié dans la musique. J’étais fan des Who, de Led Zeppelin, et j’ai commencé à fouiller dans le monde du Hard Rock. Je précise qu’on est en 1994, les Deep Purple, Black Sabbath, etc. sont déjà des groupes bien has been ! On appelait ça des « vieux », alors qu’ils n’avaient pas encore 50 ans ! J’écoute des albums seventies. Je finis par tomber sur une réédition du Overkill de Motörhead. Il y a là une férocité qui va réveiller chez moi un feu sacré, qui va me donner une force que d’autres groupes de Hard Rock me donnaient déjà un peu, mais pas de manière aussi absolue. Depuis, je n’ai jamais lâché Motörhead…
Benzine : Tu les as vus sur scène ?
Julien : Motörhead, ça a été plein d’occasions ratées, je ne les ai vus qu’une fois, en 2012. Au Zénith de Paris, avec Anthrax en première partie. Mais je ne cours pas beaucoup après les concerts, c’est toujours un peu compliqué pour un provincial, et je préfère écouter chez moi, dans ma bulle à moi, avec mon casque sur les oreilles. En 2012, c’était la tournée avant que Lemmy ne tombe malade, il était très statique sur scène, il a ensuite arrêté, jusqu’à sa toute dernière tournée en 2015…
Benzine : Lemmy est un personnage révéré, il a quand même sa statue ! Et puis, il y a beaucoup de gens qui n’écoutent pas de metal et qui adorent Motörhead…
Julien : C’est un vaste sujet. Lemmy Kilmister est par lui-même la jonction entre le metal et le punk rock. Il est issu de la scène londonienne de Ladbroke Grove, une scène psychédélique – distincte du « flower power », du psychédélisme des Beatles ou des Stones – prolongeant la dissidence politique née en 1965, avec des hippies d’extrême gauche, assez véhéments, avec les premiers écologistes, avec des militants féministes. Qui n’hésitent pas à mener des actions, comme au Festival de l’Ile de Wight en 1970, avec les deux groupes symboles du mouvement, Hawkwind et les Pink Fairies qui vont improviser un concert hors de l’enceinte du festival, pour protester contre le prix des billets… Et d’ailleurs Jimi Hendrix dira que c’était le meilleur concert de tous ! Lemmy est à partir de 1971 bassiste de Hawkwind, c’est lui qui créera le son typique du groupe, et chantera leur tube Silver Machine. Et il baigne absolument dans cette scène de Ladbroke Grove. C’est cette scène underground, où l’on trouvera les prémisses du pub rock, avec des gens comme Dr Feelgood, par exemple, va inspirer les premiers punks londoniens. Quand le mouvement punk démarre en 1976, les connexions sont évidentes, Lemmy est un « tonton » pour les Sex Pistols, les Damned… Motörhead sera créé un peu avant, comme une prolongation plus radicale d’Hawkwind. L’arrivée de Phil Taylor, avec son jeu très vif, va alimenter ce côté punk de Motörhead, alors que l’arrivée ensuite d’Eddy Clarke, fan de Humble Pie, de Led Zeppelin, fera la connexion avec le hard rock.
Il faut rappeler qu’à cette époque, le « Metal » n’existe pas. En 1977, lorsque le premier album officiel de Mortörhead sort, Judas Priest joue encore avec des fringues en satin, et sinon, c’est UFO, Queen, tout le monde a des plateforme boots, ça ne ressemble à rien ! Motörhead arrive avec cette pochette noire, ce logo, un signe distinctif inspiré des motards… Et ces vêtements, le cuir, la chemise noire, la ceinture de cartouches, un côté méchant qui fout même la trouille aux punks. La jonction va se faire là.
Benzine : Ce qui impressionne, c’est que Motörhead va rester sur cette ligne de crête durant toute son existence, avec une musique singulère, avec finalement peu de variations notables de style…
Julien : Lemmy avait une vision très claire de sa musique : il jouait du rock’n’Roll ! Né en 1945, il a grandi alors qu’il n’y avait rien musicalement en Angleterre, juste les auteurs de Tin Pan Alley pour que les trentenaires aillent danser. Il raconte de manière poignante dans son autobiographie la manière dont l’arrivée de Presley, de Chuck Berry a été une déflagration, un bonheur. Il a pris tout ça dans la tronche alors qu’il a 16 ans. Motörhead est une retranscription de ce choc. Il y a quand même eu une évolution dans leur musique, jusqu’à Overkill où tout se met en place, avec l’aide du producteur Jimmy Miller pour accoucher de tout ça : ensuite, ils ne lâcheront plus cette formule. Et c’est ça qui va déclencher la naissance du Metal : sans eux, il n’y a pas d’Iron Maiden, de Saxon, pas de Metallica, de Megadeth, de Death Metal… Et il ne faut pas oublier son look qui va créer le look Metal.
Benzine : Il y a d’autres éléments qui expliquent le « mythe Lemmy Kilmister » ?
Julien : C’est quelqu’un qui est au contact de tout, un point de ralliement, il est pote avec tout le monde. Il est adorable, avec son franc parler. Toujours une bonne blague, une réflexion intelligente, un sens de la formule qui fera même, à un moment, de lui une « vedette de la télé ». Il a des rapports très sains avec tout le monde, y compris avec les femmes. Il a été élevé par deux femmes, sa mère et sa tante, son père ayant quitté la maison, et pas dans un environnement machiste typique de l’époque. Comme le milieu de la musique est alors très machiste aussi, Lemmy aide des femmes, des groupes, comme Girlschool ou Skin, la chanteuse de Skunk Anansie. Il n’a aucun préjugé racial, il est très cultivé, il lit beaucoup d’Histoire. Il a du charisme, c’est le genre de personne qu’on aimerait être dans le quotidien, quelqu’un qui traverse la vie avec brio, en disant et en faisant ce qu’il veut… Une personne fédératrice.
Benzine : Revenons au livre, et surtout à cette collection Cover des Editions du Layeur… Est-ce que la contrainte d’aller d’un album à l’autre ne te gêne pas ?
Julien : Ce n’est pas une contrainte, ça représente un cheminement. Je me permets d’ailleurs de jouer avec la chronologie de parution des disques si c’est nécessaire, comme pour le premier album, On Parole, enregistré en 75 mais sorti seulement en 79… Au départ, le principe de la collection tourne en effet autour de l’image du disque. J’ai pris le parti, dès le Iggy Pop, de construire une véritable biographie autour de la discographie : chez un musicien, l’essentiel c’est ses disques, donc je tourne autour pour mettre les choses en place, et au delà de la chronique des albums, j’essaie de fournir une œuvre à l’anglo-saxonne, très complète. On arrive comme ça à avoir un bel objet avec beaucoup de contenu dedans. Mais le lecteur peut quand même picorer grâce à « l’entrée » par album. Bref, c’est idéal pour moi…
Propos recueillis le 17 octobre 2024.
Eric Debarnot
Motörhead
Biographie / Anthologie de Julien Deléglise
Editeur : Editions du Layeur – Collection Cover
367 pages – 45,00 €
Date de parution : 10 octobre 2024
Un bien bel ouvrage pour célébrer ce groupe de speed metal (n’en déplaise à feu Lemmy sur la catégorisation de sa musique !) qui a fait et fait encore des trous dans la tête et déchire les oreilles. Extrême de chez extrême et pour moi rarement égalé dans le carnage, la défonce et la sauvagerie sonores. PLAY LOUD!
Motörheadbanger for life!
cette photo, c’est une blague ?!
Précise ta question, STP ! On peut certainement trouver mieux, mais dis-nous pourquoi tu ris ?