En 1997, Miyazaki atteint un Everest cinématographique tout en trustant les sommets du Box Office japonais avec Princesse Mononoké.
Au-delà de sa place capitale dans la carrière de son réalisateur, Princesse Mononoké est une date dans la perception de l’animation japonaise en France. La réduction abusive de cette dernière au versant le plus violent du manga n’avait pas aidé à la prise au sérieux à sa sortie par critiques et cinéphiles d’un classique comme Akira. Princesse Mononoké fut accueilli avec enthousiasme par la critique et son statut de première intrusion dans le jidaigeki -drame en costumes- de Miyazaki y est pour quelque chose. Le genre permit en effet dans les années 1950 à Akira Kurosawa et Kenji Mizoguchi de se faire un nom en Occident.
L’ombre des deux cinéastes plane sur le film. Dans la séquence d’ouverture, l’animal est annonciateur du danger à venir comme souvent chez Kurosawa. De même, si le film est cadré en 1:85 1 et non dans le théâtral Scope de beaucoup de jidaigekis de Kurosawa, la dynamique des scènes de batailles est proche de celles filmées par l’Empereur du cinéma mondial.
La traversée à la barque pour atteindre la fonderie renvoie à la traversée à la barque pour se rendre en ville des Contes de la lune vague après la pluie. Les habitants du village de la fonderie s’étonnent d’ailleurs qu’un des passagers de la barque ne soit pas un fantôme, élément renvoyant à la seconde partie du film de Mizoguchi. La vision démythifiée des samouraïs et de l’Empereur s’inscrit elle dans la lignée du jidaigeki des années 1960 (Kobayashi entre autres).
Dans le Japon de l’ère Muromachi (1336-1573). Ashitaka subit une malédiction après avoir tué Nago, Dieu sanglier devenu démon. Animé d’une force surnaturelle, son bras est rongé par l’entité démoniaque. La chamane du village lui annonce un futur décès et lui conseille de partir pour chercher à l’Ouest les raisons de la colère de la nature et de sa malédiction.
L’idée d’un personnage dont une partie du corps est dotée de pouvoirs hors normes et accomplit des actes pas tous conformes à ses intentions est l’élément contemporain du film. Car cette idée a été souvent exploitée aussi bien dans la science fiction que dans l’univers des super-héros. Le folle inventivité graphique du design des dieux (kami) et esprits (yokai) amène un baroque que Miyazaki développera dans ses films suivants.
Miyazaki a choisi la période Muromachi car la nature n’était pas encore altérée par déforestation et la riziculture. Il choisit la vérité des enjeux d’une époque plutôt que la rigueur historique. Dirigeante du village aux forges, Dame Eboshi incarne un développement économique dégradant l’environnement. Une dégradation à l’origine de la colère des Dieux de la Forêt.
Le face à face entre Eboshi et le seigneur Asano qui veut s’emparer du village rappelle les enjeux de rivalités politiques et économiques ayant toujours existé autour des ressources naturelles. A côté de cela, on trouve la princesse San dite mononoké (esprit vengeur), humaine élevée par la déesse louve Moro. Qui serait l’équivalent d’un Américain blanc élevé par les Indiens qui aurait pris le parti de ces derniers. Ashitaka croit de son côté en la possibilité d’une coexistence pacifique entre Homme et Nature.
Miyazaki n’est ni dans le chacun a ses raisons humaniste ni dans le refus du fameux manichéisme du cinéma hollywoodien. Il est dans la nuance et cela suffit. Il prend le parti de la Nature sans nier que c’est aussi le lieu de la sauvagerie. À travers le camp de la Nature, il rappelle que le combat au nom d’une cause légitime peut se transformer en haine, aveuglement et violence. La village des forges est lui à la fois un endroit où les femmes sont exploitées en tant qu’ouvrières et un lieu où un rapport plus égalitaire aux hommes qu’à la ville est possible pour elles.
James Cameron a depuis revendiqué le film comme inspiration de Pandora dans Avatar. Elément renforçant la filiation entre le film et le cinéma japonais classique. Car, déjà, le duo comique et la princesse guerrière du jidaigeki de Kurosawa La Forteresse cachée avaient été retravaillés pour construire le duo R2D2/C3PO et la Princesse Leia dans un autre succès planétaire (Star Wars).
Au Japon, Princesse Mononoké a incarné ce que le cinéma national live a perdu depuis longtemps. Ce dernier est en effet divisé entre un cinéma commercial se contentant souvent d’exploiter le succès des mangas et des Best Sellers littéraires et un cinéma d’auteur de qualité que personne ne va voir à la maison. Là où Princesse Mononoké a pulvérisé des records au Box Office local tout en étant le digne héritier de l’âge d’or artistique du cinéma japonais.
Ordell Robbie