Mais qu’ont-elles donc l’air de comploter ces trois sorcières en couverture ? On ne le saura jamais vraiment mais elles semblent avoir un certain talent pour l’immortalité… Un album qui, s’il confirme l’originalité de Sole Otero, peine à convaincre totalement.
Huit histoires à des époques différentes, avec un thème commun : le « walicho », une pratique liée à la magie noire. Dans chacun des récits, on retrouve trois sorcières accompagnées de leur bouc qui semblent traverser le temps. Souvent pourchassées ou accusées de tous les maux, bienveillantes pour certains et malfaisantes pour d’autres, elles ont appris à s’adapter et à déjouer leurs ennemis. Et tous ceux qui tentent de les approcher dans un but inamical devront faire preuve de la plus grande méfiance. Gare au walicho !
Récompensée par le prix du public au festival d’Angoulême en 2023 pour Naphtaline, également publié chez ça et là, Sole Otero nous revient avec un projet très consistant : raconter sur près de 400 pages et en plusieurs histoires le parcours de trois sorcières à travers des époques différentes, du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours.
Il est difficile de classer l’ouvrage dans une catégorie précise. Bien qu’il parle de sorcellerie, ce n’est pas tant un récit fantastique, qu’un récit avec des éléments de fantastique. Superstitieuse, Sole Otero ? Au sortir de ce pavé, on ne saura pas vraiment si elle croit aux rites de magie noire. Avec Walicho, elle ne fait qu’évoquer à travers le canal de la fiction ce thème millénaire et universel, la sorcellerie donc, pratique qui a toujours fasciné les foules, souvent associée au diable (à tort ou à raison et selon qu’on croit ou non à son existence), plus effrayante quand elle est utilisée à mauvais escient, nommée différemment selon les zones géographiques : vaudou dans les caraïbes, maraboutisme en Afrique, chamanisme en Amazonie… et quasi disparue en Europe depuis l’Inquisition…
On pourrait alors se dire que l’approche de Sole Otero est féministe, mais cela n’est pas du tout flagrant. L’autrice étant argentine, son pays n’a pas connu comme en Europe les chasses aux sorcières. Celles-ci auraient plutôt fui le Vieux continent pour se réfugier en Argentine, comme on peut d’ailleurs le voir dans le récit d’introduction. Ainsi, ses sorcières, qui sont sœurs et représentent le fil rouge pour chacune des histoires, ne suscitent ni l’antipathie ni la sympathie, mais elles semblent exercer une influence, de façon directe ou indirecte, dans la vie des protagonistes. Elles apparaissent comme des figures un peu surnaturelles, un peu inquiétantes, mais jamais Otero ne prend vraiment parti, et conserve d’ailleurs une certaine neutralité pour l’ensemble des personnages, y compris ceux qui veulent la peau des sorcières.
Quand je dis que Walicho est un projet consistant, ce n’est pas un vain mot. Il faut bien l’avouer, la lecture de ces huit histoires requiert une certaine concentration. Le texte est très présent et le propos assez touffu, parfois de manière anecdotique. Même si l’objet exerce une fascination incontestable sur le lecteur, on pourra toutefois rester sur sa faim. Peu fluide pour les raisons évoquées plus haut, la narration est un peu trop disloquée et souffre de l’absence d’éléments marquants ou tout simplement captivants.
Alors c’est sûr, il y a bien une volonté de la part de Sole Otero de nous proposer quelque chose d’original et qui sort des sentiers battus, et c’est assurément le cas. Cela se vérifie également dans son approche graphique, le design des personnages à l’aspect volontairement disproportionné (de petites têtes sur des corps très vastes) ou la mise en page très libre et très morcelée. Le bémol serait plutôt lié à l’identification des visages, similaires dans leur rondeur et pas toujours expressifs, autre frein à la fluidité de la lecture.
Cet album comporte certes des qualités, et toutes ces remarques ne remettent pas à cause l’intérêt que l’on peut porter à cette autrice, qui a réellement une approche novatrice, et le jury d’Angoulême ne s’y est pas trompé. Mais pour un meilleur équilibre, le successeur de Naphtaline y aurait à coup sûr gagné avec un allégement de la partition narrative.
Laurent Proudhon