Après s’être fait connaître en dessinant de brillantes parodies de Sherlock Holmes et de Blake et Mortimer, Nicolas Barral surprend en signant le scénario et le dessin de la biographie du méconnu, du moins en France, Fernando Pessoa (1888-1935).
Novembre 1935, condamné par ses médecins à seulement 47 ans, Fernando Pessoa met de l’ordre dans ses affaires et s’apprête à régler ses comptes avec ses nombreux doubles. Or, au lieu de nous présenter une classique biographie, Nicolas Barral charge un journaliste de rédiger sa nécrologie. Ignorant tout du grand homme, le jeune homme part à la rencontre de ses proches et, les interrogeant, nous entraine de surprises en surprises.
Le grand écrivain boit trop, vit fort simplement et est manifestement très seul. S’il a peu publié, il a multiplié les pseudonymes, ses fameux hétéronymes, tels Bernardo Soares, l’auteur du Livre de l’intranquillité, Alvaro de Campos, Ricardo Reis, Alberto Caeiro ou Raphaël Baldaya. Plus surprenant, en leur offrant des personnalités et des styles différents, l’écrivain est parvenu à donner à chacun d’entre eux une vie propre. Fiévreux et affaibli, Pessoa lutte maintenant pour maintenir ses créatures sous sa tutelle.
Rendant avec précision le jeu des saisons et de la lumière, le dessin semi réaliste de Barral s’attarde sur la vieille ville de Lisbonne, la véritable compagne de Pessoa. Les couleurs sépia ou bleutées signalent, classiquement, les remontées dans le temps. Les personnages sont joliment croqués. Pessoa est, tour à tour, amusé, timide ou gêné. Sa moustache désuète, ses yeux mi-clos et son sourire attristé accentue une mélancolie que nous associons à la saudade, à la poésie du fado et, plus généralement, au Portugal.
Les accès de fièvres vont en s‘accentuant, les mystérieux papillons orangés se multiplient et ses créatures prennent chair. L’homme qui a oublié de vivre pour lui-même, prépare, discrètement sa sortie en nous livrant un ultime aveu. Trop fragile ou trop sensible, il reconnait avoir oublié de vivre et d’aimer. Alors, s’est-il réfugié dans l’écriture par peur ou a-t-il choisi de se consacrer, à temps plein, à son œuvre littéraire ? Sans doute les deux, Pessoa est un homme multiple et inclassable.
« Mieux valait pour moi écrire que risquer de vivre. »
Stéphane de Boysson
L’Intranquille Monsieur Pessoa
Scénario et dessin : Nicolas Barral
Éditeur : Dargaud
136 pages – 25 €
Parution : 20 septembre 2024
L’Intranquille Monsieur Pessoa — Extrait :