Emmanuel Pârvu tend un miroir implacable à une société roumaine malade de son intolérance et de ses traditions conservatrices. Mais en observant froidement et de manière désincarnée les événements, il nous tient trop souvent à l’écart de son récit.
On ne verra rien ce qui s’est passé, rien de cette agression dont a été victime Adi. On ne verra que son visage quand il reviendra, tard dans la nuit, à la maison de ses parents. Son visage en sang et tuméfié. On ne saura pas non plus, tout de suite, la teneur des événements. Mais, très vite, se profile un tabassage assumé à caractère homophobe. Et l’homosexualité, dans ce village de pêcheurs reculé et tranquille, paradisiaque presque, niché dans le delta du Danube (et, plus globalement, en Roumanie), c’est une honte. C’est à taire, c’est à exorciser même (la scène du pseudo exorcisme, sidérante). Adi va se retrouver pris dans un engrenage moral et juridique où il s’agira moins de statuer sur l’affaire que de l’étouffer à tout prix.
Emmanuel Pârvu tend un miroir implacable à une société roumaine malade de son intolérance et de ses traditions conservatrices. Et ce sans jamais grossir le trait ni appuyer les comportements, exacerber les archétypes, préférant au contraire ausculter la sereine banalité d’une homophobie ordinaire au sein d’une petite communauté où tous, des parents d’Adi à la police en passant par le prêtre et les villageois, se claquemurent dans un sectarisme obstiné, systémique. Le désir d’émancipation et l’identité propre d’Adi seront ainsi empêchés, ignorés, reconsidérés, et on s’appliquera d’abord à savoir comment faire pour sauver les apparences, à (ré)imposer une soi-disant « normalité ». Discuter, comprendre, s’ouvrir, aimer ? À quoi bon.
Mais en privilégiant cet axe narratif (certes, c’est un parti-pris totalement réfléchi et assumé qui, en soi, n’est pas à remettre en question), en privilégiant les diverses tractations et intérêts de chacun (et les vieilles querelles qui ressurgissent) au détriment des ressentis vécus par Adi (« Je ne fais pas partie de la communauté LGBT et j’ai su, dès le départ, que je n’avais pas la légitimité de m’exprimer à la place d’un personnage queer » a expliqué Pârvu), le film peine à créer un lien disons émotionnel avec les personnages.
D’autant que tout le monde ici parle et joue sur un même ton monocorde (ou sous Lexomil ?) quelle que soit la situation, n’aidant pas vraiment à un minimum d’empathie. En observant ainsi froidement, de manière désincarnée, les événements, Pârvu nous tient trop souvent à l’écart de son récit, pas spécialement mis en valeur non plus par une mise en scène et un rythme atones qui, définitivement, viennent contrecarrer notre engagement dans le film.
Michaël Pigé