Dans Le voyage du Salem, Pascal Janovjake raconte une escroquerie maritime incroyable mais vraie : en 1980 un pétrolier géant disparaît avec sa cargaison au large de l’Afrique ! 200.000 tonnes de pétrole et 50 millions de dollars perdus en mer !
Pascal Janovjak est un écrivain franco-suisse qui a pas mal bourlingué du Bengladesh à la Palestine.
C’est à Dahka qu’il a découvert chez un bouquiniste l’histoire du Salem. Mais c’est près de Rome où il vit désormais qu’il a écrit son bouquin, « Le voyage du Salem », en 2020 dans une Italie confinée.
Difficile de ne pas s’enthousiasmer pour cette histoire incroyable mais vraie : l’histoire d’un pétrolier géant (vraiment géant : 5 fois la taille du tristement célèbre Erika !), le Salem, sorti des chantiers navals de Malmö en Suède dix ans plus tôt.
En janvier 1980, parti du Koweit pour l’Europe sous pavillon du Liberia, le pétrolier fait naufrage au large des côtes du Sénégal.
On redoute évidemment une terrible et gigantesque marée noire.
Mais non, rien. Le pétrolier était vide : où donc étaient passées les 200.000 tonnes de pétrole d’une valeur d’environ 50 millions de dollars ?!
« […] Trop lourd pour emprunter le canal de Suez, le Salem entame le tour de l’Afrique, pour livrer sa cargaison en Europe. Il n’y parviendra jamais. Au large du Sénégal, la salle des machines prend l’eau, des courts- circuits provoquent un incendie. L’équipage est contraint d’abandonner le pétrolier qui, dévoré par les flammes, menace d’exploser. »
Était-ce l’escroquerie du siècle comme on a bien voulu le croire ?
« […] Les journaux de l’époque eurent tôt fait de baptiser cette affaire l’escroquerie du siècle. Cette éminente désignation était sans doute exagérée : avec l’avènement du capitalisme et la multiplication des échanges, le XXe siècle fut particulièrement fécond en escroqueries. »
Dans cette partie de poker menteur, il y eut pas moins de 13 enquêtes couvrant 25 pays différents sur les 4 continents !
Une histoire de très gros sous qui va mettre en lumière les moyens utilisés pour contourner l’embargo des livraisons de pétrole à l’Afrique du Sud.
À l’origine de cette affaire, un libano-américain : Fred Soudan. L’auteur aurait bien « envie d’en faire l’Arsène Lupin de l’histoire ».
Un capitaine grec, Dimitrios Georgoulis, déjà recherché par la police pour divers détournements.
Le chef mécanicien est grec lui aussi, Antonios Kalomiropoulos, et il connait bien les machines comme les explosifs.
Un trafiquant hollandais, Antonin Reidel, qui pourrait bien être le cerveau de l’affaire.
L’équipage tunisien, Wassim, Idris, Bilal, Onas, …, des matelots avec leurs croyances, leurs histoires et leurs superstitions.
Au passage, on notera que Pascal Janovjak se montre plutôt habile de sa plume :
« […] Wassim est maître d’équipage mais il veut aussi s’occuper de nos âmes. Il ne voit que d’un œil. L’autre est tout blanc, la pupille tournée vers le haut. Peut- être que cet œil-là voit Dieu, pendant que l’autre œil nous surveille. »
Même si l’histoire est condamnable, on avoue avoir bien du mal à ne pas prendre parti pour cette équipe de malfrats qui avaient les yeux plus grands que le portefeuille : après tout, plaie d’argent n’est pas mortelle et les bandits n’ont grugé que d’autres profiteurs. Certains ont été emprisonnés, les simples matelots libérés mais d’autres courent encore.
Pour autant on a eu l’impression que l’auteur hésitait sur la façon de mener son récit : le vrai-faux journal d’un tunisien du bord ? la description de sa propre solitude d’écrivain confiné en Italie ? ou le compte-rendu des enquêtes ?
Tout cela se mêle plutôt habilement mais casse un peu l’élan de l’épopée et ne réussit pas à vraiment emporter le lecteur dans ce qui aurait pu être véritable un scénario pour Hollywood.
Entre deux escales, Pascal Janovjak nous rappelle une autre escroquerie qui m’avait également bluffé quand j’avais lu le bouquin de deux journalistes : la course en solitaire en 1969 de Donald Crowhurst qui ne fit jamais le tour du monde pour le Golden Globe.
Une autre mystification maritime où il n’était pas question d’argent (ou si peu) mais qui utilisait la même astuce du double journal de bord.
Bruno Ménétrier