Evan Dando était hier soir au POP UP!, et il n’y avait, évidemment, aucun autre endroit à Paris où écouter une musique aussi blessée, chaotique et… tragiquement humaine.
The Lemonheads et leur aventure avortée restent l’un des regrets – il y en a beaucoup, certes – de la plupart des amateurs de belle musique. Voici un groupe qui avait tout pour être GRAND : de très, très belles chansons plaisant à tout le monde, un leader charismatique et un avenir brillant offert sur un plateau avec le succès de leur reprise du Mrs Robinson de Simon & Garfunkel. Un groupe qui a sombré, largement à cause des problèmes d’addiction d’Evan Dando, ce compositeur surdoué et leader catastrophique. Heureusement, il reste à Evan des fans dévoués partout dans le monde, qui sont toujours prêts à affronter les aléas de son caractère pour aller l’écouter, et l’applaudir. Ce soir, à Paris, il y en a assez pour remplir le Pop Up! On est loin de l’Accor Arena, mais on sait que la ferveur sera là.
A peine arrivé au Pop Up!, on surprend une discussion entre la promo et le groupe de première partie : Evan s’est un peu perdu en venant de Groningen, et il arrivera sans doute tard. Du coup, le démarrage de la soirée est décalé d’une quinzaine de minutes, en espérant qu’Evan parviendra à se pointer avant 21h30, faute de quoi il lui sera difficile de jouer plus d’une heure, alors qu’il a prévu un set de 90 minutes. Bon, tout le monde croise les doigts, mais on n’est pas forcément surpris, c’est du Evan Dando tout craché : quand on va le voir, on espère le meilleur tout en se préparant au pire.
A 20h15, le duo belge de Chaton Laveur, qui se déclareront plus tard amoureux des animaux, attaquent leur set sur un mode dream pop de bricolage joli et sympathique. Lui (Pierre) est à la batterie (et aux claviers), et chante d’une voix d’ange. Elle (Julie) est à la basse et à la guitare (et aux claviers), et impressionne avec les sons inhabituels qu’elle tire de ses instruments. Chaque morceau est long, cinq minutes au moins, et prend le temps de se déployer, même si le style musical évolue vers des boucles répétitives sur un rythme de batterie sec et rapide. Indiscutablement, la mayonnaise prend et on se surprend à se laisser embarquer par cette musique improbable, légère… mais beaucoup moins qu’elle ne le semblait a priori. Chaton Laveur viennent de Liège, et se qualifient eux-mêmes de duo krautrock / dream pop, sur les cartes de visite qu’ils nous remettront à la sortie de la salle. Bien joué !
21h20 : Evan Dando arrive littéralement en courant, portant encore sa veste et son chapeau. Il branche tant bien que mal (plutôt mal que bien d’ailleurs, car au bout de quinze minutes elle se débranchera et restera débranchée) sa guitare acoustique douze cordes. Et après nous avoir expliqué qu’il s’est un peu perdu en chemin depuis la Hollande – et s’être excusé d’avoir oublié son français parce qu’il apprend le portugais, étant désormais établi au Brésil -, il attaque son marathon. C’est un ami à nous qui qualifie Dando de marathonien, étant donné son goût pour l’enchaînement rapide, et sans aucune pause, de chansons plus ou moins jouées en version raccourcie ou accélérée, qu’il a l’habitude d’offrir.
Nous aurons droit ce soir à une heure vingt de morceaux enchaînés, sans reprendre son souffle et sans s’hydrater (juste un peu d’alcool dans la dernière ligne droite !), et nous avons perdu le compte, mais il y en avait entre 30 et 40, à vue de nez. La « set list » peinte au dos d’un petit tableau posé sur le sol ne pourra guère nous aider, elle sert surtout pour rappeler à Evan ce qu’il pourrait jouer à un moment ou à un autre, et non ce qu’il joue…
On le sait, Evan Dando n’a rien d’un musicien « sérieux », mais quand il est d’humeur, c’est un homme généreux… Il joue un mélange fébrile de ses classiques à lui (enfin, des Lemonheads) et de reprises d’artistes qu’il aime. Il massacre régulièrement des passages des chansons, tente des choses bizarres avec sa guitare, perd le rythme, se lance dans des onomatopées cocasses, saute du coq à l’âne. Oui, ce soir, il est d’humeur généreuse et nous régale de son medley ininterrompu et accéléré, au milieu duquel on essaie de reconnaître des mots ou une mélodie nous permettant d’identifier une chanson, avant qu’il n’enchaîne sur la suivante. Bien sûr, chaque fois qu’un morceau un peu connu émerge (The Outdoor Type, My Drug Buddy, Bit Part…), le public, soit moins de 200 personnes, mais toutes fans des Lemonheads, crie sa joie, fait les chœurs et met l’ambiance.
A un moment, Evan évoque, en riant et non sans un peu de nostalgie, la vie de patachon qu’il a menée quand il séjournait, dans sa jeunesse, à Biarritz. Et il fait des blagues en français qu’on a du mal à comprendre, mais ce n’est évidemment pas grave…
Du côté des très nombreuses reprises, jouées intégralement ou seulement par fragments, on aura repéré le (In My) Solitude de Duke Ellington, le Reason to Believe et le Tribute to Hank Williams (un beau moment d’émotion !) de Tim Hardin, une paire de chansons peu entendues de Costello (Man Out of Time et Beyond Belief), le Nobody’s Baby Now de Nick Cave. Et une fois l’horaire prévu dépassé, et après qu’un responsable de la salle lui ait signalé qu’il allait devoir arrêter (on voit bien que ça l’énerve, mais bon…), Evan nous offre une dernière reprise de Neil Young (Ambulance Blues) avant de s’éclipser en remerciant rapidement tout le monde.
Que dire ? D’un côté, il y a la joie d’avoir passé la soirée avec une légende (même si c’est pour un nombre limité de personnes), un homme à la fois blessé et généreux, qui nous offre de superbes et fragiles instants d’émotion au milieu de la grande pagaille qu’il crée sur scène. De l’autre – mais ce n’est pas une surprise – une inévitable tristesse devant tant de talent qui ne sera jamais réellement reconnu.
« I’m too much with myself / I wanna be someone else », le mantra de My Drug Buddy reste la plus juste expression de ce drame ambulant qu’est l’attachant Evan Dando. Prenez le risque d’aller le voir et l’écouter quand il repassera.
Texte et photos : Eric Debarnot
Concert un peu bizarre mais très touchant, et particulièrement ce Tribute to Hank Williams